« Il fait avec ce qu’il est, avec ce qu’il a. / Il n’a jamais triché » : l’idée que je me fais de Rostand, et qui se fonde exclusivement sur Cyrano, n’est pas trop éloignée de – et pas incompatible avec – celle que défend l’auteur, qui a cependant dû lire toute l’œuvre, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est d’une qualité très inégale… Mais François Taillandier ne cesse de le répéter, et ça se voit à la lecture : il éprouve pour Edmond Rostand une admiration profonde.
De fait, son livre est moins une biographie au sens premier qu’un essai biographique. Or, souvent, si le genre a quelque chose d’attendrissant, il montre aussi ses limites. Au premier chef, il manque à L’homme qui voulait bien faire l’évocation du contexte littéraire et intellectuel dans lequel Rostand a évolué. On trouve seulement l’idée, justifiable mais qui pouvait être détaillée, que « les recherches de cénacles ne l’intéressent pas » (p. 28), ou des références à Jules Renard, à Coquelin cadet, à Sarah Bernhardt. À force de mettre en lumière la silhouette, l’auteur a oublié l’arrière-plan.
D’autre part, ces exercices d’admiration tendent souvent à tourner en rond dès lors qu’ils dépassent un certain volume. Dégager les idées fortes d’une œuvre – chez Rostand le goût des costumes, le théâtre dans le théâtre ou encore l’omniprésence de l’échec sous toutes ses formes – est une chose, c’en est une autre de les organiser de façon à éviter les redites, et de les approfondir de façon à véritablement apprendre quelque chose à son lecteur.
Du reste, certains propos sont discutables, comme l’idée que « son œuvre [de Rostand] est tout entière tournée vers le collectif, vers la cité » (p. 120), ou celle que « son unique et paradoxal héritier […] s’appelle Louis Aragon » (p. 209). Mais on peut admettre cela dans un essai biographique, qui, en l’occurrence, est assez bien documenté et jamais putassier, y compris lorsqu’il est question d’« un comportement que l’on qualifierait aujourd’hui de bipolaire » (p. 112).
Le début de L’homme qui voulait bien faire – un genre d’analepse – est inutilement brouillon. L’écriture manque parfois de précision : lorsque l’auteur affirme que « le secret de Rostand, c’est qu’il exalte. Il enthousiasme » (p. 82), se trouverait-il un lecteur pour considérer qu’il s’agit véritablement d’un secret ? De même, je préfère mettre sur le compte de la maladresse de l’auteur une phrase comme : « Cet homme simple, qui eut du moins le mérite de tout sacrifier à son idée, aura carbonisé pour longtemps, dans les générations qui le suivent, le sentiment patriotique, en le rendant ridicule » (p. 183). L’« homme simple » en question, c’est Paul Déroulède ; j’aurais remplacé « ridicule » par dangereux, « tout sacrifier » par pousser les autres à se sacrifier, et je doute qu’il s’agisse ici d’un « mérite »…
Malgré tout cela, comme j’éprouve une profonde tendresse à l’égard de Cyrano et, par capillarité si l’on veut, de Rostand, il est possible que cette tendresse se communique au travail de François Taillandier et me le fasse voir avec la même indulgence que je considère Cyrano.