Secret de famille, Deuxième Guerre mondiale… Mais il me semble que malgré les apparences, Effroyables Jardins relève de cette littérature qui réconforte et qui conforte ; c’est un père qui d’une main montre à son fils les photos d’un album de famille ou les illustrations d’un livre sur la Résistance, et de l’autre lui passe les mouchoirs en papier. Il prend un ton rassurant, à l’image du style de Michel Quint, qui utilise quatre phrases pour dire quatre fois la même chose – la quatrième explicitant ce qui pouvait rester obscur les trois premières fois : « Mon père était un joyeux drille, voilà tout. On disait : un sacré. André, c’est un sacré ! Combien de fois l’ai-je entendu, avant qu’on ne s’aperçoive de mes tourments et qu’on se taise devant le gamin du sacré… Un sacré quoi ? » (p. 23 en « Folio »).
Je crois me souvenir que dans l’adaptation cinématographique d’Effroyables Jardins, Jacques Villeret tient le rôle d’André. J’imagine qu’à la sortie du film, les critiques ont salué l’audace : un acteur de comédie, s’attaquer à l’Émotion ! Le principe est exactement le même : on amène un faux désordre en le sachant d’avance voué au retour à l’ordre, on se donne une fausse peur en la sachant d’avance infondée (1).
Dire de deux personnages qu’ils « n’avaient pas d’enfants, n’en auraient jamais. On les enviait de cette possibilité d’éternelle lune de miel. Ils en crevaient » (p. 26) se rattache, en dernière analyse, à la même esthétique : l’auteur laisse le lecteur en tirer le poncif qui tient lieu de morale – en gros, chacun fait avec ce qu’il a –, le but étant de ragaillardir ledit lecteur (2).
Donc, voilà : le père du principal narrateur faisait le clown pour ne pas pleurer ; c’est un comportement que n’importe quel môme de huit ans à peu près dégourdi est capable d’expliquer, y compris quand il ne l’adopte pas lui-même. Ou bien, ce n’est pas incompatible avec la première idée, il faisait le clown pour expier ; j’admets qu’il faut un peu plus d’expérience pour comprendre cela – mettons l’adolescence. Et si « son cousin Gaston s’est acquitté de la mission. Ou de la corvée » (p. 25) de raconter au fiston le pourquoi du comment, naturellement, c’est par pudeur. Dans la littérature de réconfort, on utilise beaucoup la pudeur, ça donne aux moins futés des lecteurs l’impression de découvrir l’eau chaude.
Peut-être, dans quelques années, quand les premiers mômes à avoir eu leur échographie publiée sur Facebook seront en âge de publier les radios de leur fracture du col du fémur sur Instagram, redécouvrira-t-on la notion de pudeur, et alors Effroyables Jardins aura l’air d’un classique. En attendant – peut-être aussi parce qu’on m’a survendu cette nouvelle –, j’ai eu l’impression d’avoir entre les mains un ballon de baudruche qui s’est dégonflé en une demi-heure.
(1) Infondée d’une part parce que faire rire n’a jamais été plus facile que de faire pleurer, d’autre part parce qu’en général un bon acteur fait ce qu’il peut pour être bon quel que soit le rôle.
(2) Pour être honnête, un passage, à la rigueur, démystifierait quelque chose, ou tout au moins sortirait de la zone de confort : « la résistance, on s’y est mis, les autres je sais pas, en tout cas ton père et moi, pour rigoler, pas s’emmerder, en tout cas au début… » (p. 34), dit Gaston au narrateur. Mais il faut n’avoir jamais entendu un natif de 1930 vous parler de ce que fut sa Résistance pour être surpris – sans parler des cinq derniers mots de la phrase qui désamorcent le propos.