Comme les oeufs, les temps peuvent être durs!
Eifelheim.
Voici un ouvrage sorti de nul par, peu attendu il faut dire, bien que l'auteur soit une pointure du genre outre Atlantique, et qu'il a raté de peu le prestigieux prix Hugo en 2007. C'est avec un plaisir non dissimulé que je vais tenter de vous donner l'envie de toucher des yeux à ce concentré de plaisir littéraire, à cette intense histoire, intelligente, fort bien traduite, aux tenants et aboutissants philosophiques et humanistes captivants.
Oberorchwald...Teufeulheim...Eifelheim. Trois noms pour un même village de la Forêt-noire, trois noms pour désigner un lieu apparemment maudit, véritable pivot de l'Histoire.
Tom Schwoering est un cliologue, sorte d'historien travaillant cette science humaine à l'aune des statistiques, pour lui donner un sens scientifiquement acceptable, approche originale s'il en est.
Sharon Nagy, sa femme, est une physicienne qui jongle sans difficulté aucune entre la physique quantique, et la théorie de la relativité générale. Cherchant à trouver une réponse à la fluctuation observée de la vitesse de la lumière...tout un programme.
Deux personnages aux antipodes l'un de l'autre car totalement exclusifs à leur passion, et qui pourtant vont finir par déboucher sur la même problématique: Eifelheim.
Ce village disparaît subitement de toute archive après 1348, période où la Grande Peste, la faucheuse aveugle, va ravager l'Europe, et résiste aux modèles statistiques développés par Tom.
Comment un village peut-il être effacé ainsi du cours de l'Histoire, quels évènements tragiques ou mystérieux ont pu amener son oblitération apparemment méthodique des textes.
Au travers de ces recherches dans les archives de l'Allemagne médiévale, Tom va découvrir que ce village a changé par deux fois de noms, ces derniers signifiant « maison du diable ». Mais les archives et témoignages sont empreints d'un langage d'une autre époque et d'une façon de penser proche de celle d'un autre monde, déformés par les superstitions et légendes, les préjugés et les obscurantismes des témoignages de secondes mains. La Peste noire qui apparaît comme le coupable idéale semble n'être ici qu'un acteur de second ordre et n'explique pas tout de la disparition du lieu dit.
Il lui faudra, avec l'aide d'une providentielle Bibliothécaire (métier fantastique s'il en est), et celle inattendue de sa femme, déchiffrer entre les lignes l'histoire de la disparition de Oberochwald, et accéder ainsi à la résolution de l'énigme de l'apparition d'un astronef et de ses occupants dans le quotidien d'un village du Moyen Age.
C'est à une alternance de deux récits que vous aurez à faire, celui du présent avec Tom et Sharon avançant dans la résolution de leur énigme (appelé "Aujourd'hui" en tête de chapitre, en fait un présent légèrement futuriste) et celui du fief de Oberorchwald, avec la description d'un quotidien réaliste d'un bourg moyenâgeux. Les deux finissant par ce rejoindre pour une résolution en forme de questionnement ouvert, laissant libre cours à la réflexion. La meilleure des fins, car elle laisse au lecteur la possibilité à son imagination de continuer l'histoire.
Récit intelligent, hautement humaniste, offrant des questionnements profonds, sur la nature de l'homme, sur sa capacité à l'ouverture et à la tolérance, à l'acceptation de la plus forte des différences et de la plus étrange des rencontres, à une époque que l'on taxerai le plus facilement d'obscurantisme et qui fut pourtant celle d'un bouillonnement des idées. Mais aussi à la place de la foi et de la science dans les questionnements essentiels sur notre place dans l'univers et par rapport à notre existence, de notre rapport à l'autre et à soi-même.
Une pépite de lecture, un livre profondément humaniste qui ne peut laisser indifférent, et que je conseille vivement tant il est accessible, et riche d'enseignements.