De Nik Kershaw à Stéphane Mallarmé, il n'y a qu'un pas

Je confesse n'avoir réussi à lire "Elliot du Néant" qu'à ma seconde tentative : lors de mon premier essai, l'an dernier, j'avais lâchement abandonné à mi-parcours, perplexe devant la tournure que prenait le récit. La faute sans doute à mon esprit trop cartésien (maudit soit-il). Mais il allait sans dire que l'oeuvre méritait le détour, et je restais frustré par mon échec. J'ai donc décidé de remettre le couvert cette semaine. Bien m'en a pris : c'est un petit bijou !

A partir de presque rien, ou devrais-je dire d'un presque néant, c'est-à-dire d'un coin de tapisserie, d'une paire de moufles, d'un poème obscur, d'un clip ringard et de quelques autres éléments tout aussi loufoques, David Calvo tisse un conte bluffant aux allures symbolistes, comme un hommage à Mallarmé, trop souvent décrié pour son hermétisme.

La force de Calvo est de susciter du Merveilleux à partir de l'ordinaire, d'un événement somme toute assez banal (ici la disparition d'un vieil homme dans une école islandaise). Il construit le réalisme de son histoire en décortiquant les paradoxes, en évoquant les interrogations multiples de Bracken devant la montée du fantastique dans son quotidien ; interrogations qui viennent en écho aux nôtres, comme pour nous rassurer sur leur légitimité, et qui nous aident à accepter également l'inconcevable, à plonger joyeusement dans l'entre-deux. Il "invente un mythe qui précède tous les autres", une passerelle entre le Néant et le Réel, et nous porte vers une conclusion magistrale, qui en laissera plus d'un pantois.

Alors certes, lire "Elliot du Néant" demande un certain effort, une forme de lâcher prise du cerveau gauche. Mais c'est un pur plaisir que de côtoyer ses personnages attachants (dont 2 tortues absolument charmantes) et de se laisser porter par sa prose élégante. Un vrai bonheur !

Extrait d'interview :

ActuSF : Comment vois-tu ton héros ?
David Calvo : J’ai du mal à le voir, c’est bien ça le problème. Pour écrire ce livre, j’ai du me transposer en Bracken, et c’est ce qui fait que le récit est parfois un peu hermétique (me dit-on) puisqu’on est en lui, et qu’il n’est pas un narrateur - il est, il vit. Il n’explique pas, il voit. Après tout, Bracken a oublié qu’il pouvait dessiner, bloqué par la procrastination, la compétition, et ses moufles. Il retrouve le trait en se rendant au Néant, mais ce qu’il en fait, c’est là où il m’échappe. C’est à la fin que Bracken passe en dehors en moi, et quand il fait ça, moi, je ne controle plus rien, je le regarde faire.
nm-reader
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Lus en 2013, Lus en 2013 - Mon top 10, Les meilleurs livres de science-fiction, Lus en 2012 et Mes romans préférés

Créée

le 25 juil. 2013

Critique lue 522 fois

6 j'aime

7 commentaires

nm-reader

Écrit par

Critique lue 522 fois

6
7

D'autres avis sur Elliot du Néant

Elliot du Néant
Gregory_Drake
10

Époustouflant de maîtrise.

David Calvo hameçonne l'âme du lecteur pour l'emmener ailleurs vivre une autre vie, aux grès de flots d'une eau bien différente de la notre. Il l'étreint avec ses personnages attachants, ses lieux...

le 12 juil. 2012

8 j'aime

Elliot du Néant
nm-reader
9

De Nik Kershaw à Stéphane Mallarmé, il n'y a qu'un pas

Je confesse n'avoir réussi à lire "Elliot du Néant" qu'à ma seconde tentative : lors de mon premier essai, l'an dernier, j'avais lâchement abandonné à mi-parcours, perplexe devant la tournure que...

le 25 juil. 2013

6 j'aime

7

Elliot du Néant
GuixLaLibraire
9

Critique de Elliot du Néant par GuixLaLibraire

"David Calvo mêle vraiment un univers délirant, dont certains passages (notamment plusieurs avec un morse et des macareux, accompagné de violons et du ressac de la mer) font penser à l’esprit torturé...

le 18 mars 2013

2 j'aime

Du même critique

Into the Wild
nm-reader
8

Nos vies, si chères

On se trompe beaucoup sur "Into the wild". On le prend souvent pour un beau film sur la nature, les grands espaces, le rejet du capitalisme. Ces ingrédients sont très présents, évidemment, et...

le 22 nov. 2013

148 j'aime

4

Ravage
nm-reader
8

Utopie ou Dystopie ?

Ce roman divise, ce n'est pas peu dire. Il suffit pour cela de lire les nombreuses critiques présentes ici pour s'en apercevoir ! J'ai l'impression que la question à se poser sur ce roman est :...

le 18 oct. 2013

60 j'aime

5

Même pas mort
nm-reader
9

Les celtes à l'honneur

Jaworski avait fait une entrée fracassante en fantasy en 2007 et 2009 avec ses récits du vieux royaume, tous ceux qui ont eu le bonheur de les lire ne sauraient me contredire sur ce point. L'accueil...

le 3 sept. 2013

57 j'aime

17