Quand je dis à des gens que je lis de temps en temps des recueils de poésie, je m’entends souvent répondre : « La poésie, moi, ça me soûle ». Et les divers arguments qu’on m’avance ne sont pas infondés : souvenir traumatisant d’une prof de français de lycée hystérique, cheveux en bataille et grosses lunettes de myope qui maltraite des vers de Verlaine en assurant que siiiii c’est tellement bôôôo écoutez cette hââârmoniiiiiiie ; hermétisme des métaphores alambiquées, rigidité de formes carcérales, obscurité plus ou moins entretenue… La poésie semble être un monde à part, totalement fermé au néophyte. Et les poètes, bien calés sur leur piédestal, le regarde de haut avec un sourire condescendant et un gros doigt d’honneur.
En vérité, il y a plusieurs poésies. Tout comme dans les autres genres, on peut trouver son bonheur en cherchant dans une autre étagère que celle qui nous a été présentée pour commencer. A ceux qui ne supportent pas les romans policiers la SF peut sembler plus attractive, à ceux qui se hérissent le poil face au théâtre de Racine celui de Beckett fera battre le cœur. Tout comme avec le cinéma qui soulève tous les jours des débats sur SensCritique (Kubrick ! non, Hitchcock ! non, Lynch ! non, Godard ! non, J.J. Abrams ! non, Dupieux ! non….), la poésie est intéressante parce qu’elle présente des visages différents et que chacun peut choisir celui ou ceux qui lui plaisent le plus, et entretenir ses goûts à son grès.
Pour ma part je me considère comme une novice dans l’exploration du vaste univers que représente le pan « poésie » sur la grosse étagère « littérature, ou ce qui causera ta mort par étouffement ». J’en suis donc toujours à la phase tâtonnante, à la recherche de ce qui me plaît, ce qui me parle.
Car si l’on considère la poésie comme un très délicat mélange entre une sensibilité qui s’exprime (le poète) et une autre qui s’identifie (le lecteur), on est toujours à la recherche de ce qui nous parle, que ce soit de façon claire ou un peu plus sibylline, suivant ses préférences.
Quant à moi, j’aime bien qu’on me parle sans détours, sans rien me cacher, et sans me faire croire que je suis plus bête que je ne le suis déjà.
C’est pour ça que j’aime bien la poésie de Théophile Gautier.
Gautier n’utilise pas de métaphores plus nébuleuses que nécessaires. Adepte d’un style direct, il se restreint dans ce recueil quasi uniquement à l’octosyllabe qui supprime la redondance d’adjectifs qualificatifs. Le vers est court et efficace, le mot choisi est exactement celui qu’il fallait, à l’endroit idéal. Le vers touche directement son but. Souvent ironique, parfois nostalgique, amateur de roman gothique ou définitivement l’un des chefs de file du romantisme, Gautier n’a plus rien à prouver avec Émaux et Camées, et ça se voit. La totale liberté des thèmes choisis n’égale que le talent effronté du poète. On savoure, sans se sentir exclu, sans se sentir rabaissé par un égo qui se prétend incompris.
C’est ce que j’aime chez Théophile Gautier : il écrit pour lui et pour l’autre, honnêtement, avec une plume superbe. Ses poèmes sont des histoires, offertes au lecteur, avec des clins d’œil ou une volonté d’apitoiement sincère. Et c’est tout.
Allez, comme je suis d’une nature généreuse, je vous recopie un poème extrait d’Émaux et Camées. J’ai volontairement choisi de ne pas prendre mon préféré, ni le plus drôle, ni le plus émouvant, ni celui qui parlera à tous. J’ai pris celui-ci pour vous montrer un aspect de son style. J’espère que ça vous plaira, et que vous aurez la curiosité de laisser à la poésie une nouvelle chance. Après tout les profs de français sont enfermées dans les lycées, elles ne peuvent plus vous atteindre (non ?).
Les joujoux de la morte
La petite Marie est morte,
Et son cercueil est si peu long
Qu’il tient sous le bras qui l’emporte
Comme un étui de violon.
Sur le tapis et sur la table
Traîne l’héritage enfantin.
Les bras ballants, l’air lamentable,
Tout affaissé, gît le pantin.
Et si la poupée est plus ferme,
C’est la faute de son bâton ;
Dans son œil une larme germe,
Un soupir gonfle son carton.
Une dînette abandonnée
Mêle ses plats de bois verni
A la troupe désarçonnée
Des écuyers de Franconi.
La boîte à musique est muette ;
Mais, quand on pousse le ressort
Où se posait sa main fluette,
Un murmure plaintif en sort.
L’émotion chevrote et tremble
Dans : Ah ! vous dirai-je maman !
Le Quadrille des Lanciers semble
Triste comme un enterrement,
Et des pleurs vous mouillent la joue
Quand la Donna è mobile,
Sur le rouleau qui tourne et joue,
Expire avec un son filé.
Le cœur se navre à ce mélange
Puérilement douloureux,
Joujoux d’enfant laissés par l’ange,
Berceau que la tombe a fait creux !