Ce que propose Ahmadou Kourouma avec ce livre, ce n'est rien de moins qu'une parodie de l'histoire africaine vue sous l'angle de l'épopée. L'épopée absurde, malade, boursouflée, drôle et interminable d'un dictateur invincible et de ses grotesques confrères, de chasseurs sauvages, de sorciers cupides, d'un peuple niais et de colons blancs méprisables.


Personne, Blanc ou Noir, ne trouve véritablement grâce aux yeux de cet auteur ivoirien qui présente l'énorme gâchis de son continent avec une lucidité qui vire à la cruauté. Si l'humour est toujours là, à travers des situations ubuesques et des personnages clairement caricaturés (on peut d'ailleurs y reconnaitre certaines personnalités africaines réelles), il est difficile de rester insensible à cette accumulation de défauts chez les personnages. Un nuage de pessimisme finit par obscurcir le champ de vision du lecteur, qui n'a comme moyen d'évasion que la figure héroïque, quasi-divinisée du président-dictateur Koyaga. 
L'histoire de cette homme nous est transmise par la bouche d'un conteur en présence de Koyaga. De fait, tous les artifices mythologiques africains sont déployés pour faire la publicité de l'autocrate (pouvoir magiques, animaux parlants, dons de guerriers exceptionnels), et de nombreux commentaires personnels donnent bel et bien à ce roman la couleur de la tradition orale. Là où les choses deviennent vraiment intéressantes, c'est lorsque cette façon de raconter cache en second niveau de lecture une véritable critique de la fiction politique a travers un décryptage du principe de la narration.
Ainsi, à force d'exagérations, l'histoire de Koyaga révèle paradoxalement le réel, et le merveilleux mythologique dévoile la manipulation idéologique des puissants, qu'ils soient présidents ou leaders religieux.
Le style de Kourouma, forgé dans un français africain, peut étonner, tantôt gouleyant comme un vin frais, tantôt capiteux comme un alcool qui a trop vieilli. Le débordement narratif, cette volonté de vouloir tout raconter et surtout l'anecdotique, rendent certains passages un peu pénibles. Mais l'expérience en vaut la peine. Car si l'on pouvait s'attendre à une énième présentation de l'Afrique complaisante et exotique, dans laquelle seul l'homme blanc serait montré du doigt, c'est finalement à un voyage dans la noirceur et l’imbécillité humaine que nous convie le roman, à peine tempérées par un humour finalement tout aussi acide et douloureux.
Amrit
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le 1 sept. 2017

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