Deuxième livre de Kourouma que je lis et... que je préfère vraiment aux Soleils des Indépendances, bien que l'écart de la note ne soit pas significatif. En attendant le vote des bêtes sauvages, c'est presque un roman historique, c'est un roman féroce, à l'humour féroce, à la critique féroce, enfin bref, c'est comme un grand roman d'aventure sur fond de dénonciation des dictatures africaines.
L'histoire, au premier abord, est relativement simple : le président Koyaga, dictateur africain, retrace l'histoire de sa vie pour se purifier et ainsi, regagner le pouvoir démocratiquement après en avoir été évincé par une suite d'événements issus de la fin de la guerre froide. Une histoire sans concessions : le narrateur, griot des chasseurs, raconte l'enfance, puis l'ascension, puis l'histoire de son ministre Maclédio, puis les visites chez les autres tyrans africains, puis les "exploits" de Koyaga... tout en énumérant avec dérision, désintéressement ou humour les horreurs du régime, sans hésiter à taxer les Nègres de voleurs (je cite, hein), à définir le régime africain par son despotisme, son hypocrisie et ses massacres, etc. On n'oubliera pas, en écho aux Soleils, la peinture des grigris et autres fétiches magiques qui servent souvent de prétexte pour mentir au bon peuple.
Ce qui rend le récit fascinant à vrai dire, c'est que l'on ne sait pas sur quel pied danser : comment faut-il interpréter les piques, les traits d'humour, les injures ? Où se situe la frontière entre dénonciation et défense ? Entre pensée d'un narrateur fictif et d'un auteur ivoirien ? Il y a là une mystérieuse ambiguïté, un anti-manichéisme violent, une subtilité de pensée qui échappe peut-être à nous autres Européens, au vu de la manière si particulière qu'a Kourouma d'écrire.
Au fond, ce roman est un réquisitoire, un catalogue. Dans le périple africain, odysséen (oui j'invente l'adjectif, oui je veux) de Maclédio d'abord, puis dans le voyage à travers les "républiques" de Koyaga, puis dans la présentation des institutions... La critique passe ici par cette interminable liste de forfaits... Qui, si elle peut être fascinante à certains moments (l'épopée de Maclédio est je crois mon passage préféré de l'oeuvre), en devient un peu fatigante finalement. Au fond, c'est à la fois la force et la limite de ce livre, dont la construction extrêmement rigoureuse, carrée, est en accord avec son sujet - tout en étant vaste dans ses points d'accroche, et en s'attachant à faire le portrait de tous les personnages et à raconter leur histoire etc. Au fond, je lui ferai les mêmes reproches qu'aux Soleils : oh mais bien sûr, c'est volontaire, c'est aussi sans nul doute fait pour exprimer la ritualisation, l'organisation d'une culture méconnue - cela n'empêche que toute énumération finit par ennuyer, c'est ce qui me fait mettre ce modique 8 (allez, j'ajoute un point).
Néanmoins on n'ôtera pas sa richesse à cette oeuvre, qui est vraiment prenante, avec un rythme soutenu, une fin d'une rapidité extrême nous montrant la chute du dictateur africain après trente ans de règne, dans une conclusion très fine qui intrigue et permet de refermer le livre avec satisfaction en se disant : ça, c'est bon.
J'aurais bien aimé étudier En attendant le vote des bêtes sauvages.