Dans ce roman autobiographique, Tolstoï raconte ses souvenirs d’enfance et d’adolescence et se livre à l’introspection grâce son double fictif: Nicolas Pétrovitch Irteneff. Le roman, commencé en 1851, a été abandonné six ans plus tard sans que Tolstoï ait rédigé le quatrième volet prévu initialement. C’est donc un livre en trois parties qu’il nous a laissé, chaque partie étant consacrée à une étape de sa jeunesse. Au début du récit, le petit Nicolas a 10 ans, et lorsque nous le quittons c’est un étudiant entré dans sa dix-septième année. Dans l’intervalle, le lecteur s’est pris d’affection pour ce garçon qui ressemble étrangement au jeune Tolstoï.
En invoquant l’univers de son enfance, l’auteur ressuscite la Russie tsariste, avec ses barines (propriétaires terriens), ses serfs, sa hiérarchie de fonctionnaires et son aristocratie moscovite. Les Irteneff vivent tantôt à Moscou, tantôt dans leur domaine de Petrovskoïe, à la campagne. C’est cette maison familiale que Tolstoï évoque avec le plus de nostalgie. Il y situe les premières joies et les premières émotions de son petit héros : les jeux, le paysage champêtre aperçu par la fenêtre, la chasse avec son père, les leçons du bon précepteur Karl Ivanovitch, les après-midi passées à rêvasser en écoutant sa mère jouer du piano… Puis vient le départ pour Moscou. Dans la maison de la grand-mère, Nicolas manifeste pour la première fois ses talents de poète et découvre les sentiments amoureux au cours d’un bal d’enfants. Toutes ces émotions juvéniles sont exprimées dans un langage simple. Mais grâce à la magie des mots, on retrouve avec Nicolas des impressions propres à l’enfance, ce regard émerveillé sur le monde, la fraîcheur et l’insouciance de la jeunesse. Pourtant les chagrins ne sont pas totalement absents de la vie du petit garçon. Lorsqu’il quitte Petrovskoïe, image du paradis terrestre, Nicolas perd un peu de son innocence en découvrant des sentiments nouveaux. Il comprend par exemple que son père n’est pas infaillible. Mais c’est surtout la disparition de la mère – figure idéalisée que Tolstoï n’a jamais connue - qui marque la fin de l’enfance.
La suite du récit s’attarde davantage sur la psychologie du jeune héros, en qui l’on peut voir un alter ego de Tolstoï. Timide, conscient de sa laideur, Nicolas n’en est pas moins orgueilleux et, malgré ses intentions pieuses, il ne peut dissimuler son mépris pour ses inférieurs, ces gens qui ne sont pas « comme il faut ». Intelligent, il refuse pourtant de se plier aux exigences de ses professeurs. A ses élans les plus enthousiastes succèdent des moments de paresse et de désespoir. Car c’est une personnalité encore mouvante, inachevée, qui nous est dépeinte ici. Sa formation morale, le jeune homme la puise dans la foi ardente de la vieille Russie, mais aussi dans les romans et les discussions philosophiques qu’il partage avec ses amis, dans ses rêves enfin. Dans les parties intitulées « Adolescence » et « Jeunesse », Nicolas grandit. Il tombe amoureux – ou croit l’être !- et il lui arrive même de fantasmer sur les servantes. Que de naïvetés charmantes dans ces pages! Entre ses études, ses rêveries et son amitié avec Nekhlioudof, c’est un jeune homme bien occupé. De même, chaque membre de la famille Irteneff évolue. Il y a là quelques portraits inoubliables dont on sent qu’ils s’inspirent de modèles vivants chers à Tolstoï.
Ce livre mérite amplement d’être lu, d’abord parce qu’il permet à chacun de revivre avec bonheur des émotions enfantines. Pas de grands évènements, nul développement politique ou militaire relatif à la Russie, rien que les joies et le chagrins ordinaires d’un garçon qui découvre la vie. Tolstoï dépeint cet autre lui-même avec un humour tendre et, même s’il s’agit d’une personnalité bien singulière, on peut aussi y voir un hymne universel à la jeunesse.