Je comprends le biais stylistique, qui évite le trop grand écart entre les parties narratives et les dialogues. C'est vrai, du Proust entre les réparties pyrotechniques d'ados survoltés, ça ne collerait pas tellement. Après, par goût, j'ai préféré le Bégaudeau de l'Anti-manuel de littérature. Et encore plus le vaillant rhétoricien qui pourfend du bourgeois à la télé en ce moment, se payant glorieusement au passage la tête d'éditorialistes confits dans leurs certitudes libérales. A petite dose, mais quand même, il m'arrache des sourires narquois. Dans ce livre, j'ai aussi étiré mes commissures à différentes reprises; c'est inusité, je suis du genre maussade. Il faut dire qu'il s'en donne la peine, avec ses observations presque cruelles mais finalement pas tant que ça, même si "c'est abusé de charrier comme ça", sérieux. Après, le métier y incite franchement et il faudrait un axe en adamantium pour résister à un peu de taquinerie, juste avant une misanthropie irrécupérable ou un lexomil arrosé de whisky (si vous ne me connaissez pas, pas la peine de sauter sur le clavier, laissez-moi le bénéfice du doute...). Qui n'a jamais passé une heure entière avec une grosse vingtaine de jeunes gens de 14 ans ne peut pas savoir exactement de quoi il retourne (mais a sans doute malgré tout une opinion bien arrêtée sur la question...). L'auteur a donc tenté de nous faire entrer dans sa salle de classe, privilège très rare qu'on ne s'accorde même pas entre collègues. Le malheureux y est prof de français, ce qui ne lui assure pas davantage de confort qu'à ses confrères qui enseignent les langues (comme dans "parler en langues", cette expression si éloquente évoquant la xénoglossie...). Comprenez que toute la journée il entend massacrer ce qui a été pour lui un motif d'études supérieures. C'est son lot, soit, et c'est toujours préférable à ces réunions administratives vides de sens mais hautement ritualisées qui phagocytent le peu d'énergie qui reste après une journée de cours en collège. Les faits parlent d'eux-mêmes et Bégaudeau n'a pas vraiment besoin de forcer le trait pour que le ridicule des simagrées hiérarchisées apparaisse au grand jour. S'il se garde bien d'accabler ses collègues ouvertement, on sens quand même poindre son ironie à chaque ligne. Au final, je ressors du livre comme du film, pas entièrement persuadée que j'aurais invité mon nouveau collègue de français à prendre un pot au Balto en sortant de cours, mais assez contente que quelqu'un pas manchot de la plume donne à voir aux autres, qui ne sont pas profs, ce qui se passe entre nos murs...