Choisir ou ne pas choisir, telle est la question ...
Erasme de Rotterdam est l'inventeur trop précoce d'une doctrine qui fait un peu tâche dans ce XVI° siècle plein de bruit et de fureur. Le monde n'est que guerres, esclavage, et bûcher pour un oui ou pour un non et voilà qu'un prêtre érudit propose à l'Europe de songer à l'internationalisme et aux vertus de la paix universelle. Élitiste (trop) et amoureux des livres, ce savant prêche le leadership de la Raison, et des lettrés sur le monde, et cela avec un succès inattendu parmi les puissants (Gutenberg vient d'inventer l'imprimerie, ça aide). J'ai été bluffé par ce personnage qui ose penser le pacifisme au sein de la barbarie ambiante et qui, croyant autant en l'humanité qu'en ce Dieu qu'elle sert, demande à l'Eglise de revoir sa copie. Erasme n'a qu'un ennemi, mais quel ennemi: le fanatisme... Rien que pour cela, on se doit de l'aimer :-)
Zweig, lui, est trop fasciné par Erasme et fait tout d'abord un éloge qui touche souvent au ridicule tant les compliments pleuvent sur le savant. Tout en Erasme est beau, parfait, digne, et il osera même dire : "divin"... Mais il est vrai que l'écrivain autrichien nous propose aussi une vision idyllique du siècle des découvertes, siècle où la merveilleuse Europe apporte enfin la lumière au monde et où la science libère enfin les esprits (on a vraiment envie de lui rappeler le procès de Galilée et l'horreur des conquêtes). Bon écrivain, mais piètre historien, je crois.
La deuxième partie du livre est passionnante: en effet tout le verni splendide dont il a habillé Erasme se fend brutalement sous les coups conjugués de la couardise du savant et de la férocité de ses ennemis , dont l'étonnant Luther, personnage solaire et détestable. Erasme, humaniste pacifiste trop prudent, va se trouver incapable de choisir son camp, entre Luther et l'Eglise, pris dans une posture de conciliation hésitante du plus mauvais effet. Face à la violence du débat (on parle guerres de religion et bûcher pour tous, la liste des meurtres est impressionnante), l’intellectuel va renoncer à se prononcer sur quoi que ce soit, se faisant chasser de Louvain qui est trop catholique, pour se faire chasser de Bâle qui est trop protestante... Il perd sa crédibilité et rependra une vie errante et aigrie en Europe, triste destin pour un homme de cet ordre, à qui on a demandé de jouer un rôle phare dans son siècle et... qui s'est enfui... La mention de l'admiration que lui voue Rabelais, l'a sauvé à mes yeux :-)
Voilà du moins ce que j'ai retenu de cette biographie plaisante mais trop déséquilibrée (Zweig est comme Erasme, trop hésitant à juger) mais je dois dire que le portrait d'un savant qui amène enfin les lumières de l'esprit dans un monde phagocyté par la foi et la violence est tout de même interpellant. Car parfois je me demande si la foi et la violence ne sont pas les valeurs montantes de notre siècle à nous....