Schématiquement on peut dire que l’œuvre de Heidegger se compose en deux parties. La première s’occupe de la mise en lumière de la question de l’être (autrement dit ce qu’est l’être et non simplement le simple fait d’exister, phénomène de l’être), oublié par la métaphysique selon Heidegger. La deuxième partie de son œuvre s’intéresse ce qui nous fait oublier cette question. Essais et conférences appartient à cette dernière partie.
Ce livre est recueil de divers textes qui tente d’établir un rapport entre l’être et l’objet dont traite le texte (ainsi la technique, la science, la pensée, la poésie – celle d’Hölderlin – et le monde). Or établir un rapport, c’est aussi tenter de conjurer tout les dangers qui peuvent faire tomber ce ledit rapport dans l’oubli. Ainsi comme le dit Heidegger au début de La Question de la Technique : "Questionner c’est travailler à un chemin, le construire. C’est pourquoi il est opportun de penser avant tout au chemin et de ne pas s’attacher à des propositions ou appellation particulières. Le chemin est un chemin de la pensée. Tous les chemins de la pensée conduisent, d’une façon plus ou moins perceptible et par des passages inhabituels, à travers le langage.".
Il s’agira pour l’auteur de briser l’illusion que peut inspirer notre raison, la production de la technique, la présence de divers objet. Dans Qu’est-ce que penser veut dire, Heidegger nous montre que malgré que notre monde donne a penser, nous ne pensons pas encore, ce qui semble dire que la pensée ne se meut qu’en rapport avec quelque chose d’étrangère à elle-même (ici la question de l’être). L’illusion, la confiance abusive en l’activité de la pensée (qui ne revisite que les territoires qu’elle a déjà pensés) et le progrès technique n’est du qu’à l’oubli du processus qui a permis a ces idées d’émerger. La Question de la Technique est particulièrement claire à ce sujet. La technique mobilise les ressources naturelles pour produire des objets. Quand nous sommes devant ces objets, la question de savoir comment la technique a utilisé la nature pour créer, pour dévoiler ces objets n’est pas posée par la technique qui se contente de produire. La technique du fait de son caractère producteur dissimule son essence à l’être qui l’utilise. Il convient donc pour Heidegger de penser l’essence de la technique, sinon le rapport entre l’essence de la technique et de l’être sombrera dans l’oubli, et l’Homme deviendra, par fascination de la technique et par oubli du rapport, un produit façonné par la technique (chose qui se remarque déjà dans le Transhumanisme). Heidegger résume très bien le point critique que l’on retrouve dans tous les textes d’Essais et conférences : "Sans cesse, les mortels sont tournés vers le rassemblement qui dévoile et abrite, et qui éclairant toute chose présente, la fait entrer dans la présence. Pourtant ils se détournent de la clarté ne regardant que les choses présentes, qu’ils rencontrent directement dans leur commerce journalier avec toutes choses et avec chacune d’elles. Ils se figurent que ce commerce avec les choses présente leur procure comme de soi, la familiarité qui est à la mesure des choses. Et pourtant celle-ci leur demeurent étrangère. Car ils ne pressentent rien de ce à quoi ils sont confié : rien de la présence qui, en éclairant, fait d’abord apparaître toute chose présente. Le λόγος (logos) dans la clarté duquel ils vont ou demeurent, leur reste caché, est pour eux oublié."
Cependant on peut remarquer un côté jargonnant et une certaine confiance dans le langage. En effet, les analyses sur les mots de Heidegger sont brillantes, fondent une sorte d’histoire des usages du concept analysé, parfois pour en venir à une sorte d’origine du sens, c’est à mon avis ignorer le caractère polysémique des mots et vouloir fixer un sens définitif à ce qui peut être utilisé de manière multiple. On passe à travers le langage mais on reste quelquefois dans le préjugé d’un sens « véritable ». Il y a aussi un délaissement du domaine pratique par Heidegger alors que les objets de sa pensée le sont particulièrement (ne serait-ce que l’essence de la technique). Non pas que je reproche a Heidegger de ne pas avoir écrit de bréviaire politique mais qu’il y avait tout de même une possibilité de pouvoir développer une pensée qui peut s’effectuer dans l’existence. Malgré cela Heidegger nous donne à penser ce qui ne peut être oublié, pour éviter de tomber dans de lourds fourvoiements politique et existentiel (comme le fut son engagement au parti nazi).