Pour son nouveau roman, Douglas Kennedy propose avec Et c’est ainsi que nous vivrons une dystopie doublée d’une enquête policière aux accents de drame familial. En sortant de son cadre habituel d’écriture, l’écrivain américain se confie sur l’avenir et ses inquiétudes, le temps qui passe, ses ressentis d’écrivain et malgré tout ça, garde espoir dans la capacité humaine à se réinventer.
L’Amérique dans plus de trente ans
Les Etats-Unis ne sont plus unis ! Le fédéralisme a éclaté, laissant deux entités politiques complètement opposées, irrémédiablement irréconciliables. Seule la ville de Minéapolis est partagée et comporte une zone neutre (ZN) aux lois particulières.
Au sein de l’Amérique de 2045, la République Unifiéee (RU) est une démocratie autoritariste avec à son sommet Morgan Chalwick à la doctrine sociale directement inspirée du principe de prévention. Il régit tout, harmonieusement et sereinement, au prix de l’omniprésence d’un système de surveillance. Notre société occidentale n’a pas encore franchi ce cap, puisque nous en sommes encore qu’au principe de précaution. Ce nouveau pays regroupe en partie tous les états actuels de l’Est et l’Ouest.
Les autres états (notamment du Sud) se sont regroupés dans une Confédération Unie (CU) dont le dogme est dicté par les Douze Apôtres. L’avortement, le travail des mères jusqu’à ce que leurs enfants atteignent seize ans, le divorce, l’adultère, etc. y sont interdits et le culte religieux y est obligatoire.
L’Europe a sombré d’elle-même. La Russie est devenue le vassal de la Chine, celle-ci étant devenue prépondérante avec son totalitarisme capitaliste.
Le monde est cadenassé par une absence de liberté de mouvements. Ainsi, le terrorisme international a disparu. Ne subsiste qu’un terrorisme dit domestique que chaque gouvernement tente d’enrayer avec plus ou moins de succès.
Brins d’histoire
L’agente Samantha Stengel qui vit en RU assiste en ZN à l’exécution d’une collègue et amie, Maxime, ce qui lui rappelle ses doutes et aussi ses vulnérabilités ressenties depuis le décès de son père. Déstabilisée, elle ne laisse pourtant rien paraître de sa fragilité car le Système la rétrograderait obligatoirement. Car Stengel est un agent de haut niveau à qui on confie des missions secrètes de la plus grande importance.
D’ailleurs, son prochain mandat est de torturer, pour obtenir suffisamment d’informations puis de tuer une certaine Caitlin Stengel, âgée de 32 ans, soit onze ans de moins qu’elle. Cette cible est aussi sa demi-sœur, elle-même agente de la CU, dont elle ignorait quelques minutes plus tôt son existence.
Pour ce travail de la plus haute importance, son chef lui ajoute l’agent Sean Sauvage, une sorte de géant, et elle insiste pour s’entourer aussi de l’agent LaPrelle, gratte-papier pragmatique.
Pour accomplir sa mission, Samantha, la narratrice, devient Edna Mulgrew, journaliste à la National Republic Radio en CU, spécialiste de cinéma. Jusqu’à la fin, évidemment, en maître incontesté du suspense, Douglas Kennedy garde captif son lecteur dans un puissant thriller dont il maîtrise tous les codes.
Pessimiste, Douglas Kenney ?
Douglas Kennedy projette ses inquiétudes en imaginant la fin du fédéralisme américain comme solution à l’opposition entre les deux pôles, complètement irréconciliables, dont on vit les déchirements actuellement. Cédant aux prophéties d’un Elon Musk, l’écrivain imagine tous ses concitoyens “pucés” et en explore toutes les conséquences jusqu’à la fin de l’intimité de chacun. En abandonnant son unité, les Etats – désunis perdent de leur puissance au profit d’une Chine devenant de plus en plus tentaculaire.
En donnant à sa narratrice, un père, même décédé, particulièrement présent dans son récit, Douglas Kennedy se donne l’occasion de parler d’un double de lui-même, certes volage et ayant entretenu une double vie, mais surtout écrivain, grand amateur de tous types de culture. L’écrivain en profite pour parler de son métier et aussi de ses peurs de la sénilité, possible dans l’avenir !
Mais, comme Edna est spécialiste de cinéma, Douglas Kennedy transmet tous ses coups de cœur et sa connaissance d’un art qui a fait la grandeur des Etats encore unis.
Concernant la mission, tuer sa demi-sœur, Douglas Kennnedy place haut le débat moral dont son héroïne va devoir s’acquitter et qui fait le sel de son polar…
En conclusion,
Mais, le message de cet étonnant connaisseur de l’âme humaine, et surtout de la plus noire qui existe, est que toute technologie, si performante soit-elle, ne peut mettre en boîte le facteur humain. Douglas Kennedy le démontre magistralement. Malgré la vision pessimiste qu’il nous offre dans Et c’est ainsi que nous vivrons, il insiste sur la nature humaine avec ses doutes et ses questions qui est l’avenir de notre monde robotisé ! Un thriller étonnant et particulièrement réussi !
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