L’allure d’un monument (Etoiles mourantes)

A sa sortie, « Etoiles mourantes » avait divisé la critique – et cette division ne rend la découverte du roman que plus intéressante aujourd’hui.

L’arrivée de gigantesques êtres extraterrestre capables d’abriter des populations entières d’hommes dans ses entrailles, appelés AnimauxVilles, a bouleversé l’humanité, mais a surtout exacerbé ses désaccords. Jusqu’à provoquer la scission de l’espèce humaine en quatre « Rameaux », quatre voies d’évolution différentes. Pour mettre fin aux conflits les opposant, les quatre Rameaux, à l’instigation des AnimauxVilles, se sont dispersés dans autant de recoins de la galaxie.

A l’idée d’un Rameau correspond un futur possible pour l’humanité. Ils sont indirectement exposés l’un après l’autre dans la première partie du roman. La richesse de leur traitement donne l’impression de se retrouver face non pas à un roman mais à quatre, tant ces sociétés, qui n’ont plus rien à voir entre elles, sont finement détaillées. De vastes intrigues pourraient être racontées dans chacun des Rameaux, indépendamment des autres. De cette richesse de détails naît une profondeur et un réalisme capables de donner une vie propre à ces sociétés, en-dehors de l’intérêt immédiat de l’intrigue. Entre ces Rameaux, la plus grande réussite du duo d’auteurs est à coup sûr le peuple des Connectés, qui ne supportent pas physiquement de vivre sans connexion au réseau, et doivent respecter des sortes de paliers de décompression de données lorsqu’ils s’y reconnectent... Le lien avec notre monde actuel est évident, et plus pertinent que jamais. La première moitié du roman ouvre à chaque nouvelle découverte d’un Rameau à un sentiment de vertige, en repoussant ainsi par quatre fois l’horizon fictionnel.

La seconde partie, les « Retrouvailles », rassemble toutes les intrigues amorcées dans la première autour d’un système binaire d’étoiles mourantes s’acheminant irrémédiablement vers une supernova. Avec ces deux parties, le roman est donc bâti selon des logiques contradictoires, qui dessinent comme un rebond de l’univers fictionnel : une expansion puis une contraction. Lors de cette dernière, ce n’est plus le vertige de l’ampleur croissante du récit qui agit, mais un sentiment d’inéluctabilité : au fil des pages, le roman se resserre. Il perd de sa fraîcheur, mais gagne l’intensité du compte à rebours : le final est en effet annoncé dès le titre du roman. Or cette supernova est plus qu’une toile de fond aux proportions cosmiques, car elle agit comme un catalyseur dramatique, accentuant puis précipitant sensations et émotions, jusqu’à l’explosion. La construction comme l’écriture-même du roman s’accordent donc à la nature d’une supernova.

« Etoiles mourantes » brille donc par sa construction, son univers fictionnel riche, détaillé, pertinent, mais aussi par l’étonnant concept d’appréhension de la réalité que développent les auteurs tout au long du roman pour expliquer la manière dont les AnimauxVilles se déplacent de points en points dans l’Univers. Ils se basent, on l’apprendra à la fin du livre, sur une théorie scientifique : comme toute bon travail de science-fiction, la lecture d’ « Etoiles mourantes » est donc des plus stimulantes.
Ertemel
8
Écrit par

Créée

le 23 janv. 2015

Critique lue 397 fois

Ertemel

Écrit par

Critique lue 397 fois

D'autres avis sur Étoiles mourantes

Étoiles mourantes
Petitcheminot
4

Etoiles inaccessibles

Je n'ai eu autour de moi que des retours positifs d'Etoiles mourantes et je constate que le sentiment est unanimement partagé sur Sens Critique. Aussi ma déception est grande d'être aujourd'hui la...

le 18 juin 2013

2 j'aime

2

Étoiles mourantes
Vurorbi
10

Epoustouflant!

Un livre assez incroyable.... J'ai un peu eu l'impression de devoir réapprendre à penser, à trouver mes marques tellement l'univers est décalé par rapport à la réalité. Mais c'est ce qui en fait le...

le 20 déc. 2010

2 j'aime

Étoiles mourantes
ElGato
8

Critique de Étoiles mourantes par ElGato

Deux vieux baroudeurs de la SF française, qui connaissent bien leurs classiques, et qui aimeraient qu'on se souvienne qu'ils ne sont pas morts. Le résultat ? C'est loin d'être parfait, et si certains...

le 12 déc. 2010

2 j'aime

Du même critique

Et quelquefois j'ai comme une grande idée
Ertemel
10

Critique de Et quelquefois j'ai comme une grande idée par Ertemel

C’est d’abord un objet très imposant : 800 pages en grand format bien serrées, présentées par une magnifique couverture entièrement illustrée, presque naïve, et surmontée d’un titre qui n’en finit...

le 3 oct. 2014

9 j'aime

1

High-Opp
Ertemel
8

Opinion

Dans cette œuvre inédite, Frank Herbert décrit une sorte de démocratie absolue, où toute proposition de loi est soumise à un vote sur une partie représentative (choisie au hasard, chaque fois...

le 4 nov. 2014

5 j'aime

Suzanna Andler
Ertemel
3

Le dur retour en salles

Peut-être vaut-il mieux soutenir la réouverture des cinémas en allant voir un autre film… Je pensais que Benoît Jacquot avait touché le fond avec son dernier film, « Eva ». Mais non, il a réussi à...

le 10 juin 2021

4 j'aime