K. à Auschwitz
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Être sans destin est un roman, mais pas seulement (j'y reviendrai). C'est un livre absolument remarquable, il propose une expérience littéraire et historique unique tout donnant l'impression paradoxale au lecteur que ce point de vue est le plus naturel qui soit.
Imre Kertész ne raconte pas l'horreur des camps, il ne raconte pas l'enfer des camps (expression qu'il refuse) : il raconte la vie dans les camps. Et ça fait toute la différence, car sans utiliser à un seul instant des éléments de dramatisation il arrive à nous toucher, à susciter en nous des émotions profondes (et des émotions très variées selon les passages).
Le ton est très cynique, absurde : Imre Kertész raconte que les juifs s'efforcent à être disciplinés dans les files d'attentes pour faire bonne impression face aux allemands dont ils connaissent le goût de l'ordre. Dans leur naïveté extrême ils font de leur mieux tout au long du roman pour ne pas importuner les officiers allemands. Et tout est là, le roman est construit sur ce contre-pied génial qui ne sera vraiment éclairci qu'à la fin du roman.
En effet dans le dernier chapitre, le récit prend des airs de philosophie. Je dirais même que le dernier chapitre est un texte philosophique remarquable. Pendant ma lecture, j'avoue avoir eu un gros problème avec la notion du temps d'Imre Kertész. Je me disais sans cesse "Mais où en est-on ? Combien de jours, de mois sont passés ?". Et bien que j'étais conscient que c'était une volonté de l'auteur, j'étais convaincu que cela nuisait à la puissance de l’œuvre (car on peut avoir l'impression par moments, en grossissant le trait, qu'on ne passe qu'une semaine tranquille dans le camp avec Imre Kertész).
Oui mais voilà, dans le dernier chapitre, Imre Kertész nous explique tout. Et il le fait avec une intelligence et une efficacité incroyables. Pourquoi a-t-il fait ce choix du temps suspendu, brouillon ? Parce que son roman a pour but d'expliquer comment il a survécu (avec les autres) à ces camps de concentration, et que pour ce faire, il faut abandonner la notion du temps. Il faut avancer pas à pas, minute par minute, heure par heure, jour par jour, pour arriver au bout du compte. Il explique brillamment qu'à sa sortie du camp il n'a même pas la sensation que "c'est arrivé". C'est un machin discontinu qu'il a échafaudé pas à pas, ce n'est pas une période qui lui est tombée dessus comme une peine de prison à purger : car si tel avait été le cas, jamais il n'aurait survécu.
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Créée
le 2 mars 2017
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