J'ai essayé fort, mais quel ennui !

Préambule : au moment où j'écris ces lignes, j'ai lu un peu plus de la moitié d'Eutopia. Je suis passé à autre chose depuis (j'ai lâché le roman mi-décembre), mais je ne désespère pas de le finir un jour, si je trouve la force de me replonger dedans toutefois, puisqu'on ne peut pas dire que ce soit le coup de foudre, on y reviendra.

Un roman ambitieux et qui, à titre personnel m'attirait autant qu'il me repoussait. Côté points positifs : l'ambition de proposer un roman eutopique (littéralement "le lieu du bon") ; une proposition de société construite à partir des travaux de Bernard Friot (un militant communiste qui a théorisé le salaire à vie pour tous), du côté du moins bon, et c'est là surtout un ressenti personnel : Camille Leboulanger.

Car Camille Leboulanger est un auteur que je connais à présent depuis un moment (depuis son 1er roman Enfin la nuit, paru en 2011), et qui ne m'a jamais pleinement convaincu. j'avais détesté Enfin la nuit, et Malboire ne m'avait qu'à moitié convaincu. Si je lui reconnaissais des qualités d'écriture, je lui reprochais dans l'un un récit froid et sans intérêt, et dans l'autre de bonnes idées peu ou mal exploitées et un récit trop mal rythmée. je crains que pour moi, Eutopia ne relève du premier cas de figure. Que je me suis ennuyé dans ce roman !

Le récit se situe dans le monde d'Antonia, qui s'est bâtie sur les ruines de la société que nous connaissons actuellement et a accouché d'une société égalitaire, écologique et respectueuse de tou.te.s et de la nature.

Comme je le disais plus haut, les travaux de Bernard Friot ont servi de base à Leboulanger pour construire sa société idéale, et de nombreuses pages sont employées pour nous présenter ce modèle. Et pour moi, cela participe du problème.

S'il est intéressant de voir cette société se déployer sous nos yeux, tout cela n'est pas exempt de défauts. Le plus évident (mais aussi le plus facilement écartable, on va y venir), c'est le peu de réalisme que présente cette société. pas parce qu'elle ne serait pas crédible (encore que), mais parce qu'on ne nous parle jamais des oppositions ou des freins qui auraient pu se manifester lors des changements (radicaux) apportés par la déclaration d'Antonia et son adoption.

On nous dit que les enfants n'ont plus de parents biologiques, ou plus exactement que les parents biologiques ne s'occupent pas plus que les autres adultes de leurs enfants, et que la structure familiale traditionnelle n'existe plus. Admettons, mais comment ce modèle s'est-il imposé ? Personne n'a trouvé à y redire, vraiment ? Il y a bien le personnage féminin de Gob (dont j'avais déjà oublié le nom, c'est terrible) dont Umo (j'avais aussi oublié son nom cela dit), le narrateur, est amoureux, qui remet en cause ce modèle, mais elle est présentée comme une weirdo, une inadaptée, et même Umo finit par lui tourner le dos (mais on va en reparler d'Umo, patience).

Idem sur le modèle économique. Plus de propriété individuelle, plus de notions de profits. Ok, cool. Amen to that, je suis pour. Mais du coup, c'est passé crème, comme ça ? À quel moment vous allez me faire croire que la classe bourgeoise, dont la vie entière ne tourne qu'autour de l'accaparement des richesses à son seul profit, aurait lâcher la rampe aussi vite et sans regimber ? Et pourtant non. Aucune mention d'une quelconque opposition au modèle antonien, d'une quelconque remise en cause.

Et d'ailleurs, ce modèle antonien, est-il appliqué partout ? Tous les pays s'y sont pliés ? Et bien aucune idée, ce ne sera jamais mentionné, comme si c'était une question anodine.

Ce monde et cette société manque de consistance, de matérialisme (un comble pour un roman inspiré par les écrits d'un communiste).

On me rétorquera (à raison sans doute) que l'objet du roman est de proposer une utopie, et que ces basses considérations matérialistes n'ont que peu de place ici. Soit. Admettons. Mais maintenant, parlons un peu écriture et personnages.

Globalement, ce roman ne raconte rien. Enfin si, la vie d'Umo, son narrateur. Alors excusez-moi, mais c'est chiant à mourir ! Parce qu'Umo, je suis désolé, mais il est antipathique, et pas qu'un peu !

Umo est insupportable, autocentré, égoïste dans ses rapports amoureux (quand il n'est pas toxique), incapable d'empathie et surtout infoutu de se remettre en cause. Comme je le disais en début de review, je n'ai pas fini ce roman, je n'ai pas tenu, mais à plus de la moitié (60% me dit ma liseuse), la vie d'Umo se résume à le voir s'ennuyer dans sa vie (une caractéristique qui semble dominer la plupart des protagonistes du reste), fantasmer sa relation avec son love interest et être incapable de la gérer en vrai, et finalement promener son seum et sa suffisance de pages en pages. Insupportable.

Et tous les personnages semblent à l'avenant : creux, sans âmes, fades. Rien à quoi se raccrocher pour tirer plaisir de cette lecture. Cette utopie a pour moi des accents de "meilleur des mondes". Les gens nous sont présentés comme heureux, épanouis, mais à les voir, rien ne semble plus faux. La faute à l'écriture qui, pour le coup, se traîne en longueurs et s'appesantit sur de longues phases de vie aussi ennuyeuse qu'une semaine de 35h de taf...

Le personnage sacrifié, c'est clairement celui de Gob. J'en veux pour preuve que j'avais déjà oublié son prénom (que j'ai dû rechercher dans le roman), et que dans la majeure partie des reviews que je croise ici et là, elle n'est même pas mentionnée du tout ! C'est pourtant sur elle qu'il aurait fallu focaliser, de mon point de vue, car c'est elle qui aurait pu apporter ce contrepoint, cet autre regard, qui manque tant à ce roman. Je ne doute pas que sur les 280 pages que je n'ai pas lu, elle ressurgisse, ce qui invalide peut-être cette critique, mais vu que personne n'en parle dans les autres reviews, j'en doute.

En résumé, un non-roman, qui ne raconte rien de bien passionnant mais a le mérite de présenter un modèle social différent (bien que sans consistance). Le projet était beau, les ambitions louables, mais le compte n'y est pas. Si l'objectif principal était de présenter un modèle de société idéale au détriment du roman, peut-être aurait-il fallu proposer un essai philosophique et abandonner le format romanesque. Peut-être le récit commence-t-il au-delà des pages que j'ai lu, mais auquel cas qui a envie de lire plus de 300 pages poussives avant d'entrer dans le vif du sujet ?

Bref, je n'ai absolument pas adhéré. Je ne comprends pas les concerts de louanges que je lis sur ce roman. Le personnage d'Umo est antipathique, horripilant (son côté artie intello précieux, ô secours !), le monde antonien manque de consistance et d'âme et au final, je me suis ennuyé ferme.

Si je finis un jour ce roman, promis, j'édite cette review pour la compléter / l'amender même si (rêvons un peu, c'est l'objet du roman) je découvre qu'en fait, c'est un livre incroyable. Mais sincèrement, j'en doute.

EDIT : roman fini, au bout de l'ennui, au mois de décembre 2023. La fin est conforme à ce que j'avais anticipé : même personnage vain, le personnage de Gob et sa fille sacrifiés, bref, je n'ai rien à enlever aux critiques que j'adressais au roman.

Math_le_maudit
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le 10 janv. 2024

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Math_le_maudit

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