La première fois, on lit ces cent pages - écrites gros - d’une traite, en riant. Fous rires incontrôlables même, tant le thème est cocasse, tant les descriptions sont burlesques dans leur délirante précision, tant les interminables énumérations sont époustoussoufflantes, tant le style est exagérément caustique et provocateur.
En dépit de cette tragédie nauséabonde que l’auteur déroule froidement et méthodiquement devant nos yeux embués, dans un premier temps, donc, l’hilarité dépasse l’affliction.
Et vite, fasciné, on veut relire. On tombe sur le sous-titre, « conte parabolique ».
Comment ? Cette sorte de farce noire ? Une allégorie ?
Et on relit donc, lentement, par extraits, par bribes. Et c’est le destin de l’artiste qui surgit entre les lignes. Et on pleure.
Hasard, isolement, frustration, solitude, angoisse, doute, différence, rejet, hypocrisie, grotesque, autodestruction. Inexorablement, le génie du créateur se repaît de cette incontournable et progressive souffrance globale et généralisée.
Jusqu’à l’issue fatale, en forme de soulagement.
Evguénie Sokolov, reflet du miroir dans lequel l’auteur réfléchit, s’observe, observe et fait le point avant de retranscrire son froid bilan dans l’histoire de ce peintre disgracié qui lui ressemble tant. Histoire d’autant plus poignante et lucide qu’elle fut écrite concomitamment à l’apparition du personnage de Gainsbarre qui devrait polluer l’œuvre de Gainsbourg jusqu’à la fin de ses jours.
« Gainsbourg se barre quand Gainsbarre se bourre » disait-il lui-même.
Prout !