L'ARGENT NE FAIT PAS LE BONHEUR MAIS...
Lieu commun de premier ordre et qui nécessite le confident de la tragédie antique. Il faut quelqu'un pour ajouter immédiatement : "Mais il y contribue." Alors c'est tout à fait beau. Cette humble contribution, qui vient si heureusement tempérer la rudesse mélancolique d'un aveu qu'on pourrait prendre pour un blasphème, doit avoir une efficacité singulière. C'est comme du sucre sur la conscience ou de la pommade sur le cœur. "Oui c'est vrai, songe profondément le Bourgeois, l'argent ne fait pas le bonheur, surtout lorsqu'il est absent." Il le fait presque, sans doute, mais pas complètement. Quelque chose manque, tout le monde est forcé d'en convenir, et c'est l'occasion d'une infinie tristesse que d'être témoin de cette impuissance de l'argent qui devrait assurer la félicité de ceux qui l'adorent, puisqu'il est véritablement un Dieu.
Un lecteur avisé me dirait que si des cathos néo-libs et autres FAFillons se le sont approprié, Bloy n'est pas vraiment un héraut de la droite d'avant. Le mec n'était même pas antisémite ! Il était pourtant l'un des plus farouches contempteurs de la modernité, bien au-delà de son conservatisme religieux, et donc "de droite".
Si l'intelligence ne peut pas, quel que soit le sujet, faire l'économie du scepticisme, l'idéologie est un terrain de clivages, tout aussi essentiel cependant.
Ceci posé je le redis : la droite c'était mieux avant, y a pas photo.
Bloy n'est pas une lecture facile, du moins faut-il une éducation théologique moins rudimentaire que la mienne pour saisir toutes les références bibliques et antiques. Mais Diable, quelle verve ! Bien que sa folie mystique prenne le pas ça et là sur la deuxième partie de l'ouvrage, ce recueil d'un enfant d'un autre siècle est une critique aussi cocasse qu'acérée de l'avènement de la ploutocratie. Et autant dire qu'elle a peu perdu de sa sagacité en plus de 100 ans. Le lisant on se prend à rêver de l'enfoncer chapitre par chapitre dans la gorge de tout étudiant de l'ENA, de l'X, d'HEC ou de Science-Po, histoire qu'il expérimente la vivifiante morsure de l'ironie et qu'il ressente enfin la modestie de sa condition d'animal savant.
Hélas, ça n'arrivera pas. Et si ce cher disparu lisait des slogans tels que "Soyez malins, soyez radins" fièrement arborés par nos rames de métro, il vomirait de honte.