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Houellebecq laisse rarement indifférent. J'en ai fait les frais... En bien ! Pour commencer, il est surprenant de voir comment est construit le roman de l'auteur. En effet, on ne sait jamais réellement si nous sommes plongés dans une fiction ou bien dans la simple biographie de la vie de Houellebecq. On sait tous que cela a fait polémique en janvier dernier avec Soumission (que je n'ai pas lu) mais l’ambiguïté n'était finalement pas nouvelle car on la trouve dès son premier ouvrage sorti en 1994 : Extension du domaine de la lutte. Titre d'ailleurs on ne peut plus pompeux, ambiance salon de lecture parisien côté boulevard Saint-Germain.



Les pages qui vont suivre constituent un roman ; j'entends, une succession d'anecdotes dont je suis le héros. Ce choix autobiographique n'en est pas réellement un : de toute façon, je n'ai pas d'autre issue. Si je n'écris pas ce que j'ai vu je souffrirai autant - et peut-être un peu plus.



Ceci dit, la lecture est délicieuse de bout en bout. Le livre ne se lit pas, il se dévore et on parcourt les 155 pages en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Qu'on aime ou pas, la lecture est simple. Houellebecq est tranchant. Il assène des vérités, parfois ses vérités, sur notre monde et sa grande superficialité avec un cynisme déconcertant. La déprime, la tristesse côtoie le graveleux et l'humour fin. L'analyse intellectuelle danse avec la remarque triviale notamment lors d'une discussion professionnelle dans un self :



Afin d'accréditer l'idée je prononce quelques phrase sur les normes scandinaves et la commutation réseaux ; Schnäbele, sur la défensive, se replie sur sa chaise ; je vais me chercher une crème caramel.



Il rentre dans le lard de certaines idées préconçues avec une cruauté et un réalisme froid :



L'écriture ne soulage guère. Elle retrace, elle délimite. Elle introduit un soupçon de cohérence, l'idée d'un réalisme.



Il décrit notre vie à tous, celle de la classe moyenne qui vit pour acheter et qui achète pour vivre, bref une vie sans intérêt dont le faîte, le pinacle se trouve souvent dans la publication Facebook d'un faux bonheur hypocrite parfaitement calculé et millimétré :



Généralement, le week-end, je ne vois personne. Je reste chez moi, je fais un peu de rangement ; je déprime gentiment.



La sexualité est un thème très prégnant dans cet ouvrage. Elle importe énormément et ne doit pas être prise à la légère car elle est, je pense, le noyau dur du mal-être de son auteur comme des divers personnages évoqués : Catherine Lechardoy (sa collègue de travail), Jean-Pierre Buvet (son ami prêtre), son ami et collègue Tisserand, pervers frustré et puceau à plus de 30 ans. Houellebecq évoque la frustration d'être seul et célibataire dans un monde sexualisé à outrance, archi-connecté grâce aux réseaux sociaux et qui, paradoxalement, réduit l'humain à la plus cruelle des solitudes. Nous vivons dans un monde où les 3/4 des gens entre 20 et 35 ans sont célibataires. L'individualisme, et la morale en totale désuétude avec la crise du religieux font de notre génération celle de Youporn ou du Prince Charmant qui n'existe plus, hormis sur les paquets de biscuits fourrés Lu :



Je mange une galette aux haricots rouges, et Jean-Pierre Buvet me de parle de sexualité. D'après lui, l'intérêt que notre société feint d'éprouver pour l'érotisme (à travers la publicité, les magasines, les médias en général) est tout à fait factice. [...] Notre civilisation, dit-il, souffre d'épuisement vital. [...] Nous avons besoin d'aventure et d'érotisme, car nous avons besoin de nous entendre répéter que la vie est merveilleuse et excitante ; et c'est bien entendu que nous en doutons un peu.



Son analyse très intéressante où il compare le libéralisme économique au libéralisme sexuel est saisissante :



Dans un système économique où le licenciement est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver sa place. Dans un système sexuel ou l'adultère est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver son compagnon de lit. En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d'autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d'autres sont réduits à la masturbation et à la solitude.



Des considérations littéraires viennent parfois couper le récit initial pour souligner la vacuité de notre monde, celles-ci sont souvent pertinentes mais ne laissent que très rarement place à la discussion ou à l'optimisme :



Cet effacement progressif des relations humaines n'est pas sans poser certains problèmes au roman. Comment en effet entreprendrait-on la narration de ces passions fougueuses [...] ? Nous sommes loin des Hauts de Hurlevent, c'est le moins qu'on puisse dire. La forme romanesque n'est pas conçue pour peindre l'indifférence, ni le néant [...]



De cette assertion, on comprend soudainement plus l'intérêt grandissant pour la lecture de romans d'heroic-fantasy ou la consommation effrénée de séries ou de films sur ce thème (Game of Thrones, Bilbo le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux...) que l'on aperçoit depuis quelques années. Houellebecq est un grand écrivain parce qu'il couche sur le papier le ressenti de millions de gens aujourd'hui en Occident. Il fait, de manière déprimante, ce que bon nombre de Youtubers à succès font sur internet dans des vidéos. Faire rire en analysant les faits et gestes, nos habitudes au quotidien. L'auteur de l'Extension du domaine de la lutte procède à l'inverse. Il nous démontre, par le prisme de son expérience, que notre société est gangrenée par un mal-être presque indicible si l'on ne prend pas le temps de se poser les bonnes questions. Quand l'individualité parle au nom de la multitude, en découle alors le récit d'un désenchantement du monde. Celui d'une société à bout de souffle qui se vautre dans la surenchère sexuelle et économique. La vie morose et terne. Celle que l'on a tous choisi.

silaxe
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le 21 nov. 2015

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silaxe

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