Ludivine Bantigny et Ugo Palheta, respectivement historienne et sociologue, viennent en lanceurs d’alerte dans cette rentrée littéraire : la fascisation est en marche et, même si l’issue est incertaine, le fascisme est loin d’être impossible. « Fascisation » ne signifie pas, pour les auteurs, une marche progressive vers le fascisme, mais un développement chaotique où les classes dominantes voient l’intérêt qu’elles ont, pour sauver le système capitaliste, à renforcer l’autoritarisme et le racisme. Le livre commence par rappeler les bases : nous sommes dans une « crise hégémonique » qui, selon Antonio Gramsci (qui a connu le fascisme de près, étant enfermé dans les prisons italiennes de Mussolini), se caractérise par un ordre social qui ne tient plus par le consentement mais par la coercition. Le fascisme ne survient pas par un simple coup de force, mais sa venue est préparée par une phase de fascisation des classes dominantes, et c’est bien dans cette période que nous sommes.
Il faut noter que le danger évoqué dans cet essai est bien le « fascisme », et non le « postfascisme ». Les auteurs ne retiennent pas l’idée d’une évolution suffisante pour changer le mot, contrairement à d’autres auteurs qui se sont intéressés au même sujet (comme Philippe Corcuff, par exemple).
Face à cette menace fasciste, les auteurs se méfient d’un simple projet de « démocratisation » alors que c’est justement pour passer outre l’avis populaire que l’autoritarisme se renforce. Le projet démocratique ne peut se réaliser que par une stratégie de lutte et une remise en cause de la propriété privée (dont le principe capitaliste est un rejet de la démocratie dans le domaine de l’économie). Pour ce qui est de l’antifascisme, laissons parler les auteurs : « L’antifascisme n’est pas une spécialité mais le nom que prend la politique d’émancipation quand l’adversaire mène une offensive tous azimuts qui entend écraser les capacités de résistance. » Ludivine Bantigny et Ugo Palheta concluent donc que la lutte antifasciste ne doit pas être séparée des luttes anticapitaliste, féministe, antiraciste, etc., mais constituer le pan défensif de la lutte pour l’émancipation.
Un livre important, qui ne suffira bien sûr pas à lui-seul à enrayer la fascisation, mais qui pourra être un début de réflexion vers une stratégie d’émancipation adaptée en ces temps obscurs que nous vivons.
Critique tirée de mon blog : https://pourlasociale.wordpress.com/2021/09/08/face-a-la-menace-fasciste-l-bantigny-et-u-palheta/