Oiseaux, amour, Gauloise au bec, ballon de rouge, poésie engagée populaire… : je garde de bons souvenirs de certains poèmes de Paroles, mais pour être honnête, c’est la mythologie autour de Prévert qui me les brise menu. Or, il arrive que la production d’un artiste compense, à défaut de la démentir, l’imagerie qui lui est associée : on s’attend à trouver quelque chose de pauvre et monotone, on tombe sur une richesse et une variété qu’on n’attendait pas. Ce n’est malheureusement pas le cas de ce recueil.
Le contenu répond au titre : Fatras est un pot-pourri de vers, de prose et de collages. Ce n’est pas encore ce qui me gêne – encore que les collages me semblent particulièrement convenus et défraîchis à la fois.
Je ne conteste pas non plus à Prévert une certaine ingéniosité. Dans la sécheresse baroque de « Mangez sur l’herbe / Dépêchez-vous / Un jour ou l’autre / l’herbe mangera sur vous » (p. 121 de l’édition « Folio »). Dans l’énigmatique transparence de « Un homme et une femme / jamais ne se sont vus / Ils vivent très loin l’un de l’autre / et dans des villes différentes / Un jour / ils lisent la même page d’un même livre / en même temps / à la seconde seconde / de la première minute / de leur dernière heure / exactement » (p. 138). Dans la structure tout en variations de « L’homme sans amour, c’est comme un lanterne sans lumière, un bordel sans lanterne, un port sans quartier réservé, sans musique ni chansons. Et un port sans quartier réservé, c’est con comme un porte-avions » (p. 12).
Mais cette ingéniosité-là peut se faire paresseuse : « Éducation civique : / Après la peur de la mort, la mort de la peur, et enfin la vie » (p. 26), ça semble faussement léger, mais à la relecture c’est vraiment léger. Surtout, – et c’est ce qui en accuse les limites, et c’est ce qui me fait dire que Prévert a peut-être écrit involontairement ce qu’il a écrit de meilleur –, cette ingéniosité paraît sans intelligence. C’est ce que j’ai lu dans le parodique manifeste incompréhensibliste des « Feuillets trouvés dans une chambre d’hôtel », ou dans « C’est comme pour Freud, j’en sais pas grand-chose, sauf qu’avant lui tous ceux qui étaient cons n’étaient pas au courant, maintenant ils le savent et ça les rend méchants » (extrait de « Sainte Âme », p. 35) : on est souvent entre la poésie de comptoir sans lendemain et le sketch sans envergure.
À l’image de certaines œuvres d’humoristes spécialisés dans les brèves de comptoir inconséquentes et les sketches sans envergure, d’ailleurs, l’alternative que semble poser le recueil est celle-ci : ou Prévert est authentiquement idiot, ce qui ne serait pas impossible, ou il joue à l’idiot par fausse modestie, ce qui serait regrettable. « Le sublime est corrosif » (p. 154), trouve-t-on encore dans ce Fatras qui n’est ni sublime ni corrosif.