Louis-Ferdinand en prison au Danemark, Pour célinophiles avertis....
Bonjour à tous,
Cette fois-ci, j' aimerais faire découvrir, aux néophytes, cette oeuvre trop méconnue de Céline, dont on parle finalement très peu, à mon goût.... Pourtant, quel style ! Oui. Quand on connaît Céline, cela est plus qu' évident.... Un autre livre de ce génie, n' est intérressante que pour deux raisons : l' évolution du style de l' auteur, et sa vision du monde. Deux bonne raisons de se pencher vers ce livre....
De quoi parle ce livre ? Et bien, ce livre se décompose en 2 parties. Dans la première, Féerie pour une autre fois I, Céline expose son isolement dans sa prison au Danemark, sa solitude, sa maladie « du cul », les problèmes avec ses « co-détenus », les « hurleurs » qui l'empêchent de se reposer. Tout cela entrecoupé de ses hallucinations, de sa paranoïa galopante, de ses délires de persécutions habituels. Puis suit une description de l'ambiance de la Butte Montmartre des années 40 avec sa rencontre avec Jules (inspiré par Gen Paul), personnage haut en couleur, artiste peintre/sculpteur « obsédé » par la gente féminine, complètement « halluciné » par Céline. Dans la seconde partie, Féerie pour une autre fois II (ou Normance), le « scénario » tient sur un timbre-poste : Paris subi un bombardement en 44, Paris est à feu et à sang, l'immeuble, où se trouve Céline, Lili sa femme et le chat Bébert, menace de s'effondrer d'une minute à l'autre ; ils essayent d'en sortir avec les autres habitants (en descendant l'escalier). Cette seule nuit de bombardement est décrite sur près de 400 pages ; l'action quasiment nulle est soutenue par les délires, les hallucinations, les exagérations et le style de Céline. J'avais toujours lu que c'était (Normance) le livre le plus difficile à lire de Céline (car soutenu QUE par le style) ; eh bien, j'ai englouti sans trop de difficulté ces 400 pages de purs délires céliniens, mais ai moins aimé la première partie (Féerie pour une autre fois I), que j'ai trouvé bizarrement plus confuse. Roman(s) pour célinien (« célinophile » ?!) averti !
A noter : Emile Brami défend la « thèse » que les jurons du Capitaine Haddock (Céline, Hergé et l'affaire Haddock, Éditions Écriture) serraient inspirés des insultes de Céline, serraient d'origine célinienne ; en lisant Féerie, il est très facile de trouver cela pertinent...
Nous sommes en 44 et Paris n’est pas encore libéré. Ferdinand sent déjà le vent du boulet, la corde des pendus.
Tout le quartier lui en veut et il y a quatre millions de gaullistes tout neufs, tout propres, qui n'attendent que la disparition du risque pour le brancher !. Il aurait vendu les plans de la ligne Maginot, fait arrêter des gens par wagons, fait torturer des résistants à la pelle !. Le diable en personne qu'il est le Ferdinand ! Il a l’habitude, il connaît !. « Le toboggan c’est une force qu'une fois aspiré par l'abîme vous prenez chaque volte des horions, de ces ruées de coups plein la gueule, et plus en plus bas, que vous êtes plus que bouillies et larmes. Réfléchissez ! la centrifugation des haines ! Y a l'abandon, le dernier soupir… Sûr ! certainement ! Vous rotez votre âme et Salut ! Au vent mignonne ! » Alors Ferdinand préfère tout laisser derrière lui, à cette foule vengeresse et patriote des dernières heures !… Bien connu !… Toute la France haïssait Pétain et adorait de Gaulle !… Ca saute aux yeux !. Il se carapate en Germanie à la suite du Maréchal, à Baden-Baden et Sigmaringen, puis vers le Danemark, à travers une Allemagne écroulée sous les bombes. Le Danemark, ce sera la forteresse, un cachot septième sous-sol, à s'y geler les billes, avec un fou hurleur dans la cellule d'à côté, tous au quartier des condamnés à mort !. La pellagre qu'il va y attraper et ses rhumatismes vont pas s’améliorer !… L'eczéma !… Et avec ça qu'on interroge encore Lulu à Paris !… Tout pour le rendre encore plus coupable !… Le Puy de Dôme, la Rade de Toulon, c’est lui, encore lui !… Avorteur, violeur, pédéraste, souteneur !. Et des seringues, cocaïne, morphine !… Qu’elle avoue et elle aura la paix !… Mais voilà : « Heureusement Arlette, raison même ! Pas divagante, pas hystérique, jamais !… La nature tout harmonie, la danseuse en l'âme et au corps, noblesse toute ! Vingt fois qu'elle aimerait mieux mourir que son sentiment fasse un pli. C'est une classique. elle a l'héroïsme comme elle danse et l’élégance et gentillesse… La tenue suprême… Jamais à trouver maladroite hésitante au son de son coeur… Ils ont été pour leurs frais, brutes ! » Il souffre tant qu'il en peut plus, mais ils l'auront pas !… Il va pas leur faire ce cadeau, Louis-Ferdinand. Il s'accroche tant et plus !. Le hurleur d'à côté a fini par se péter le crâne contre un mur de sa cellule, un autre s’est pendu, un Russe s’est ouvert les veines avec sa fourchette ! Mais lui, il en pense ceci : « Je veux pas que la mort me vienne des hommes, ils mentent trop ! Ils me donneraient pas l’Infini ! »
Alors, il résiste !… Il ne rentre en France qu'en 1951, s’installe à Meudon et écrit « Féerie pour une autre fois », « D’un château l'autre », « Nord » et « Rigodon ».
Mais comment peut-on écrire après Céline ?
Ils l'ont pas lu nos goncourisés, c'est pas possible ? ou alors juste le Voyage, parce qu'on leur dit que le reste c'est pas lisible, ça se fait pas, sinon ils iraient pro-poser leur prose à la collection rose.
Céline c'est pas 10 étoiles, c'est la féerie dans ton esprit et tout de suite !
Mais, petit bémol, concernant ce livre. Car deux étoiles manquent à cette pépite, quand même !
Différents des autres dans le sens où celui-ci ressemble moins à un roman, comme vous l'aurez peut-être lu ici ou là, sans fil conducteur réel, pas une histoire à raconter, mais plutôt des états d'âme, entre amertume, souffrance et colère, le tout reposant sur énormément d'humour. Espace réduit - on ne quitte pas la prison, si ce n'est pour aller sur la Butte Montmartre et chez Jules, un peintre cul-de-jatte - beaucoup plus difficile à aborder au niveau du style, cette fois on a affaire à un Céline se mettant dans la peau de Ferdinand devenu Céline l'écrivain, Céline le maudit, écrivant (éructant), évoquant, composant, du fond de son trou en prison, au Danemark. On se demande vraiment où est la part du vrai et du faux dans tout ce que Céline raconte, ce qui laisse songeur et vous donne l'impression d'être embobiné presque tout le temps ; on peut très bien croire ce qui est faux et ne pas croire ce qui est vrai, on ne sait plus où est Ferdinand, où est l'écrivain Céline, où est Céline l'homme, autrement dit le Docteur Destouches... Quoi qu'il en soit, tout n'est que pur délire à nouveau, hors norme, inclassable, sorte de fanfare du langage assourdissante, et on se laisse prendre par le "roman", si toutefois le style, très difficile à maîtriser, ne rebute pas, et pour cela, il faut déjà avoir approché l'oeuvre de l'écrivain, et le connaître un peu.
"J'en ai d'autres à vous raconter, des encore bien plus pathétiques, avec paroles et musiques... très méditées... quand vous aurez acheté Féerie ! pas tout à la fois ! pas avant ! goulus ! vous avez des têtes bien trop minces... des petits fronts trop bats... d'abord y a votre ignoble façon de lire... vous retenez pas un mot sur vingt... vous regardez au loin, fatigués..."
Un Céline dédicacé aux animaux, aux malades et aux prisonniers.
Féerie 2 - Normance
Je croyais avoir tout vu (lu) avec Guignol's Band, mais non ! Normance est un livre encore plus expérimental, encore moins accessible, un tour de force encore plus dingue puisque tout le roman ne repose que et uniquement sur le style. Il n'y a pas d'action, pas d'histoire, aucune intrigue, tout le récit est une accumulation de faits instantanés rapportés par l'auteur, sur le qui vive du début à la fin, et qui reprend le fil immédiatement là où il l'avait laissé à la fin de Féerie 1.
Je comprends ce que Céline voulait dire lorsqu'il affirmait avoir cessé d'être écrivain pour devenir chroniqueur. Chroniqueur qui vous enferme dans l'entrée d'un immeuble sur plus de 400 pages nocturnes, 400 pages d'une nuit apocalyptique, au milieu de décombres et résonnant d'insultes (j'en ai noté une : "(...) trusteuse accapareuse salope ! sonnez votre cloche et direling ! et taisez-vous ! pourrie de pisse puante ammoniacale ivrognesse mouchardeuse voleuse ratonne provocatrice pire que tout !... sonnez votre cloche ! et pas autre chose !") de bagarres, d'explosions, du fracas infernal des bombardements alliés. Les 180 premières pages de bombardements sont absolument époustouflantes, vous ballottent retournent dans tous les sens, vous épuisent ! Un exploit littéraire, où la toile de la réalité est complètement déchirée et où l'on ne peut plus distinguer le vrai et le faux, où tout est permis et où tout est en perpétuel mouvement, au point que c'est parfois à s'en arracher les cheveux, le livre ne comportant aucun chapitre, aucun espace, aucune ouverture, rien vous permettant de respirer ! Vous vous trouvez simplement dans un enfer de meubles en miettes, d'éclats de verres, de mobilier dégringolant des étages, des fenêtres, plongeant dans des torrents de lave sur les trottoirs sous un ciel illuminé par les bombes et les tirs de la D.C.A, cloîtré, étouffant, abruti par tous ces personnages et tous ces mots qui vous tombent dessus les uns derrière les autres ! Aucune phrase normale, aucun point, que des points d'exclamations et de suspension (ce qui peut vraiment abrutir à la longue) le langage parlé par l'écrit, mais cette fois, contrairement au "Voyage" et "Mort à crédit", complètement débarrassé de l'aspect romanesque. Evidemment, si le lyrisme, la poésie, la maîtrise du vocabulaire et de l'argot, tout le génie halluciné de Céline n'existait pas, le livre ne présenterait aucun intérêt. Je préfère tout de même cette partie à la première qui se concentrait d'avantage sur les conditions de Céline en prison, tandis que dans "Normance" on retrouve le bon vieux Ferdinand dans les situations catastrophiques habituelles et en huit-clos avec ses ennemis les voisins de l'immeuble, qui tous se cachent (grouillent) sous une table pendant que lui ne loupe pas une miette du spectacle du dehors, livrant ses observations, racontant tout. "Féerie pour une autre fois" (Normance inclus donc) est peut-être l'oeuvre la plus difficile à lire de Céline, mais ô combien unique ! car, en plus d'être un roman hors norme c'est aussi un morceau d'Histoire et un témoignage en marge. Et comment résister à la tentation d'aller flâner à Montmartre après ça !
Poilade avant tout, même sous les bombes. Conçu par l'auteur de Mort à crédit depuis son exil danois (1945-1951), Féerie pour une autre fois (633 pages en collection Folio) est le récit homérique d'un fantastique écroulement.
Céline, qui dit avoir toute une usine dans la tête (ses acouphènes mais aussi ses trouvailles, ses histoires...), nous vend ses souvenirs :
« Corniauds ! c'est pour bouffer, moi et mes bêtes ! moi qu'aimerait tant être anonyme... »
Traînant « cette réputation germaneuse, « collaborante », mortelle » que lui valurent ses « frasques patriotiques idiotes », il se voit durablement pourchassé par la meute des « bibicistes » et des « emmureurs ».
Dans un continuum à la Joyce, il évoque la prison (« Oh ! c'est méditatoire le gniouf !... »), taquine l'acteur Robert Le Vigan (Norbert, dans Féerie), règle son compte au peintre Gen Paul (Jules), qui l'aurait cocufié et traité publiquement de boche, et raconte de façon absolument hallucinante une nuit de bombardement sur Paris - le bombardement des Batignolles, le 21 avril 1944, avait fait 642 morts -, dans la vision délirante d'un monde littéralement sens dessus dessous, comme dans un tableau où tout chavire :
« Cieux à l'envers, fleuves bouillants, métros dans les nuages, tcétéra ! »
« Et le soleil errant d'ouest en est ! »
S'il parvient à ne pas décrocher, tant le texte de Féerie pour une autre fois (mots retriturés, phrases dynamitées) s'avère parfois difficile à suivre, le lecteur ne pourra qu'être sidéré par cette longue divagation qui est aussi une véritable prouesse linguistique, et un vrai bonheur, pour les amateurs du genre....« Et comment ! ».
Ce n'est définitivement pas le livre à lire à la plage pour se reposer. C'est un livre à lire au sens plein du terme. Le lecteur doit être actif et doit faire des efforts pour apprécier ce moment.
Ce n'est personnellement pas mon préféré, mais il demeure un incontournable pour qui s'intéresse à Céline. Il ne fera pas des sceptiques des aficionados! J'aime surtout le retenir comme un prélude à D'un château l'autre, apogée de l'entité célinienne unie dans la tourmente, toujours plus loin dans la déchéance, qui continue sans relâche à creuser et sa tombe et celle des lettres françaises!
Lisez Céline. il le mérite, le bougre... Cette peinture des prisons est magnifique !! Lisez, lisez, jusqu' à l' ivresse finale. Cette ivresse, qui vous fait dire : " Pourquoi, aujourd' hui, on n' a plus que des médiocres, et plus des mastodontes, comme lui ? ". Bref. Amis, lisez Céline. Vous ne le regretterez pas. Portez vous bien. Tcho. @ +.