Incontournable Mai 2021
Alors que je me disais justement manquer de variété dans le genre Science-Fiction jeunesse ( si on exclut toutes ces dysto-romances qui rivalisent entre elles malgré leur désespérante similarité, gracieuseté du courant porté par Hunger Games), voilà qu'en inspectant le nouvelle arrivage de romans pour Mai, je découvre un gros roman assez difficile à manquer vu sa couverture métallique bleu-vert à vous faire attraper un coup de soleil. Et sa quatrième de couverture dont le style de plume m'a aussitôt évoqué le style humoristique particulier du "Livre sans nom" d'un auteur lui aussi sans nom, est sans aucun doute la plus drôle que j'ai lue. Donc,un roman de science fiction où les humains sont des animaux domestiques avec en prime de l'humour noir et un style déjanté? Impossible de résister à pareille combinaison!
Il y a tellement de choses que j'aimerais partager avec vous pour cette lecture enthousiasmante, drôle et pertinente que je sens d'emblée que cette critique sera longue. Donc en voici une petite ébauche pour les moins "lecteurs":
"Combinaison des carnets de bords des personnages de Yacine, jeune homme de 16 ans et de Rosamonde, 18 ans, ponctué aussi de plusieurs autres formes de procès verbal, textos et bas de pages hilarants, ce roman de science-fiction s'amuse à briser des stéréotypes dans un style déjanté jubilatoire, qui n'est pas sans rappeler la série adulte du Bourbon kid, le côté "groupe de bras cassés" des Gardiens de la Galaxie de Marvel, tout en pêchant allègrement dans la culture cinématographique, littéraire et générale de tout horizon et d'époques multiples. Avec ses personnages très colorés et contrastés, ses références habiles ( parfois pas subtiles) et ses jeux dans la forme, c'est le genre de roman qui détonne des autres, pour notre plus grand plaisir et aussi notre plus grand bien. Une histoire riche en action, en complicité et blagues où un groupe improbables d'animaux domestiques humains vont se retrouver impliqués dans les manoeuvres de la Résistance contre l'envahisseur extraterrestres, grâce à larme ultime: le CHAT!"
Et maintenant la version longue!
Bon, pour le résumé: Nous sommes dans un futur pas très lointain, où l'humanité s'est fait envahir par les Smnörgasiens, diminuant drastiquement le nombre d'humains sur Terre et du même coup, celle des chats. Ces derniers constituent la seule arme possible contre la nouvelle race dominante. Yacine, 16 ans, est devenu, à l'instar de bien d'autres, un animal domestique dont la jolie bouille et ses bouclettes lui ont valut le nom de "Frimousse". Yacine cache son dépit derrière une bonne dose d'humour et à travers ses écrits ( et il écrit bien ce champion de Scrabble). Il partagera bientôt son quotidien de caniche bichonné avec Rosamonde, 18 ans, une jeune femme qui a fait cavale depuis l'envahissement et qui se retrouve maintenant dans la même maisonnée que Yacine, à porter des pyjamas pastels et faire des marches en laisse. Et puis, un jour, les deux jeunes gens font une trouvaille qui changera leur vie: quatre mignons ( et hautement dangereux) petits chatons. Ils trouvent conseil auprès du Caïd du coin, Diego, qui va les faire sortir de Paris avec leurs petites boules de poil mortelles, et ce long périple va les mener vers le dernier bastion de résistance du pays.
Vous l'aurez donc comprit, nous suivons alternativement les écrits de Yacine, avec son style cru, hilarant et très imagé, et de Rosamonde, plus posé, précis et intellectuel. J'adore la variation entre les deux. Nous avons aussi quelques ajouts dans la narration, notamment le chapitre 4, miaulé par D'Artagnan ( désopilant) , les quelques messages textes de Diego à la base et les entretient d'Intégration des quatre personnages une fois à la base. On a donc une bonne variation dans la forme et c'est très intéressant. On nous propose même une playlist de chansons au début pour l'ambiance, idée sympa!
On trouvera dans ce roman foison de références, que ce soit des titres de romans, de films, de musique, de culture ou de faits historiques ( faut dire qu'ils sont pas stupides nos protagonistes) et dans l'histoire en elle-même. Ainsi, entre Star Wars allégrement référé, on aura aussi Star Trek, Matrix, Aliens, Hungers Games et autres trucs de science-fiction notables. J'ai trouvé que le groupe avait aussi des airs des Gardiens de la Galaxie avec leur côté un peu "Bras-cassé" sympathiques et leur façon d'utiliser l'humour.
L'humour, tient, parlons en! C'est presque omniprésent et prend de toutes les formes: glauque, Noir, caustique, ironique/sarcastique, absurde et même un brin anal, quelques fois. On aura du premier et du second degré ( quoique que le second degré est plus utilisé et plus drôle). On sens que l'autrice s'est beaucoup inspiré de certaines conneries qu'on retrouve dans les romans et films de série B, d'où le fait que je trouve au roman le style de "Bourbon Kid", qui exploitait aussi la culture Junk et les films de série B, sans toutefois avoir son côté gore et violent.
Côté personnages, là je salue bien bas l'autrice, qui nous épargne les indigestes clichés américains jeunesse des dernières décennies. Pas de potiche à super-pouvoir dépendante affective, pas de bad-boy à deux sous arrogants ou de foutus triangles amoureux: Non ici, on sort des conventions et ça fait un bien fou!
Yacine, en premier lieu, est le premier personnage que nous rencontrons. Il est français, à 16 ans au début, et son descriptif physique laisse à penser qu'il est soit d'ethnie arabe ou maghrébine. C'est pas un "blanc", quoi et ça c'est très apprécié. Yacine est du genre à cacher son cynisme derrière des blagues et des bêtises, et au début, on pense qu'il n'a pas grand chose du "héro". Pourtant, c'est ce même gars qui va apprendre le langage des extraterrestres ( a un vrai talent pour les langues), supporter le moral de Rosamonde et , on l'apprendra progressivement, est en fait doté de plusieurs habiletés non-négligeables. "le couteau suisse de l'équipe", comme disait Nadette. J'adore ce personnage, qui est tout à la fois adorable, humain, complexe, créatif et surprenant. Vraiment, c'est le genre de personnage avec qui j'aurais le gout de passer des vacances. C'est aussi le personnage qui surprendra le plus.
Rosamonde aussi fait contre-stéréotype avec sa vive intelligence, son sens-pratique, ses connaissances scientifiques, sa capacité e survie ( qui n'a rien à envier à Katniss Everdeen) et son absence de stupidité émotionnelle qui semble gangréner les héroïnes américaines de romans pour ado ( les América Singer, Bella Swan et Tris Prior de ce monde, en somme). D'ailleurs, elle est gay. C'est une badass, pas de celles qui ont une grande gueule et qui porte du cuir noir, non non, une VRAIE badass, prête en découdre pour ses amis, capable de sang froid et capable d'utiliser sa cervelle. Une dure qui ne tombe pas dans le cliché.
Diego, pour sa part, m'a semblé être ce type qui a fait l'armée ( doute qui s'est confirmé par la suite) genre Chuck Norris, mais en moins indestructible et moins con. Le gars qui sait survivre, qui reste stoïque et pragmatique et qui considère le lycée comme un défis à la mesure de son expérience militaire d'Élite. Diego aussi m'aura fait souvent rire et au fond, c'est un gros nounours qui a de bonnes priorités. Lui non plus n'est pas à sous-estimer, que ce soit pour ses cognitions ou son humanité.
S'ajoutera à leur trio la sympathique Nadette, une autre femme badass, qui tire de l'arbalète, sait gérer des plantations et à plus de couilles qu'un troupeau de motards. Je souligne également que pour un roman jeunesse, les adultes en présence sont enfin potables! Non seulement ils sont inclut dans les projets des héros ados, mais en plus ils sont crédibles.
Enfin, nous aurons les chatons: Aramis, Athos, Porthos et D'Artagnan. Tiens, ils me disent quelque chose ces nom-là...Ainsi que Bérénice, sans aucun doute la chatte la plus incroyable que j'ai vue.
Je n'ai pas eu la moindre difficulté à suivre les personnages en présence, à croire à leur complicité et à leur amour réciproque qu'ont les membres de famille reconstituées. J'ai vraiment apprécié le fait que Yacine et Rosamonde ont développé une relation très intime, mais qui ne relève pas de l'amourette pour ado. Plutôt de l'amour fraternel. Ils se sont épaulés et ont pu compter sur leur complémentarité. Un super beau tandem. C'est bien aussi de valoriser les amitiés fille-gars de temps à autre. Et les autres personnages sont tout aussi colorés.
Un truc que j'ai adoré également: l'absence de la Toute-Puissance États-Unienne! Enfin une histoire où les USA ne sont pas les gros-bras sauveurs du monde. En fait, ils sont même assez tertiaires ici. Les forces en présence sont la France, la Norvège, le Brésil et la Chine. C'est super de voir une collaboration inter-pays au lieu de cette puissance unilatérale américaine qu'on nous sert depuis la seconde Guerre Mondiale.
Le roman est découpé en quatre blocs ( avec des noms assez amusants tels que "The catwalking dead" ou "La stratégie panthère"( encore des références de séries) qui s'organisent ainsi: L'évasion, la traversée, la vie sur la base et enfin, la Riposte ( avec un gros "R").
On aura donc pas le temps de s'ennuyer, ils ont fort à faire nos personnages. On aura bon nombre de rencontres, d'altercations, de découvertes, de visites de bâtiments, le tout sous le regard des personnages, qui doivent non seulement survivre, mais aussi faire face à un monde qui n'est plus le leur. On aura droit à beaucoup de questionnement ou de considérations existentielles par rapport à ce nouveau monde où les humains sont insignifiants. On aura même droit à une psychologie crédible, avec des crises d'angoisse, des formes d'ESPT et quelques bonnes crises de larmes. Merci bien! On aura droit à de beaux moments de solidarité, mais aussi à certaines réalités très laides. L'humain dans ses grandes contradictions.
Alors si vous pensez qu'on ne peut pas faire de la science-fiction rigolote, tout en ayant un bon degré de profondeur, détrompez-vous. On a un univers bien calibré, qui n'est pas manichéen qui apporte son lot de réflexion, ne serait-ce que notre manière de traiter nos animaux domestiques ou notre clivage entre pays. La fin est justement une belle ouverture à ce sujet. D'ailleurs, le système politique est sans doute la fameuse "Félicratie" du titre.
C'est donc avec beaucoup d'enthousiasme que je termine cette lecture, qui m'aura dilaté la rate tout du long, qui m'aura diverti et dont j'aurais apprit quelques trucs au passage. J'espère revoir ce genre de personnages et ce style d'humour plus souvent en Jeunesse. J'espère qu'il aura l'attention qu'il mérite. En tout cas, le libraire que je suis compte bien lui faire une place au soleil auprès des bibliothécaires et des ados friands de lecture!
En raison du langage parfois injurieux, cru ou sexuellement explicite, ainsi que pour la nature des thèmes, ce roman est destiné au 15 ans et plus. Il y a également une forte présence d'argot français dans les carnets de Yacine.