Borges est agaçant. Presque à chaque fois que je termine une de ses nouvelles, je reste bloqué, là, concentré durant plusieurs minutes. Je relis parfois ce que je viens de déchiffrer, et je défriche de nouvelles perspectives. Borges n'est pas toujours un bon écrivain. Mais c'est un penseur vertigineux. Il propose la plupart du temps des résumés d'idées, trop vastes pour exister concrètement. L'auteur adopte un ton distant, objectif, qui sied bien à l'entreprise. C'est un terreau fertile pour le jaillissement de nos propres rêveries, l'élargissement de notre perception de l'infini.
Ces jeux-récits à l'ampleur mystiques sont Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, où des générations d'écrivains s’efforcent de créer l'encyclopédie d'une planète qui n'existe pas, La Bibliothèque de Babel, où le hasard devient vecteur de sens, La Loterie à Babylone, où le sens devient vecteur de hasard, ou encore Le Miracle secret, qui étire un instant pour l'achèvement d'une oeuvre d'art.
Mais il y a aussi des bibliographies imaginaires, où Borges, soudainement moins légitime dans sa démarche, propose toutes sortes d'idées littéraires qui, elles, auraient pu donner naissance à des oeuvres véritables (L'examen de l'oeuvre d'Herbert Quain en devient assez frustrant, à mon sens... mais écris-les, ces bouquins, bon sang, feignasse !).
Enfin, il y a ces contes, parfois policier (La Mort et la boussole) ou purement oniriques (mes préférées, telles Le Sud et Ruines circulaires) où toujours, le héros semble courir vers une mort certaine, qui le libère de sa condition ou l'y enchaine pour l'éternité.
Jamais de réponses. Les labyrinthes de Borges n'ont pas de sorties et peuvent être considérés comme assez vains. Mais on peut aussi s'y sentir bien. Vouloir y passez du temps, seuls, pour le simple plaisir de distordre la réalité. Et peut-être finalement mieux la comprendre, à l'occasion. Je laisse la ligne droite aux coureurs du 100 mètres... Le monde en est rempli.