Fondation - Le Cycle de Fondation, tome 1 par muleet
(Critique spoilante.)
Ce livre ne dépeint pas des personnages à part entière, il représente des résultats théoriques des composants d'une société, pris dans une inertie dont, par essence, ils n'ont pas conscience. Partant d'une société puissante sur de nombreux plans (technologie, connaissances scientifiques, niveau de vie, degré de culture de l'humain moyen...), mais assez bureaucratique (ses affaires administratives étant centralisées sur une unique planète), Asimov nous représente la façon dont cette société va s'écrouler. Elle ne peut s'écrouler rapidement, tant ce monde est vaste des dizaines voire des centaines de milliards d'habitants, parsemés dans l'univers.
Ce sont tous des individus distincts, et pourtant l'inertie les a conduit a avoir plus ou moins les mêmes espérances, attentes d'eux-même, rapport à leur gouvernement, etc. Chacun a sa propre maîtrise d'un domaine particulier, mais il existe indirectement une limite pour chacune de ces sociétés, c'est ce qui bloque l'ambition de ses membres. C'est ainsi que des siècles plus tard, les gens s'habituent à ne pas savoir comment fonctionnent les appareils qu'ils utilisent, et à s'habituer à l'arrêt de leur fonctionnement s'il arrive. Que faire si le fossé entre votre curiosité naturelle, et le savoir requis pour comprendre une chose, est trop grand? Il faut laisser tomber.
Ici, certains hommes ont un recul sur cette force invisible qui régie leur potentiel en tant qu'humain, ils ont été mis au courant. Ils savent même qu'il y a un enjeu : attendre. Attendre l'époque où les sociétés seront à nouveau à l'abri de la destruction par un mauvais désir d'un particulier au pouvoir, (ou plutôt quelques millions de ceux-ci) où elles seront de nouveau sécurisées par le bon sens de l'humain moyen. En attendant ce moment, il devient nécessaire que des gens vivent mal par milliard. Soit parce qu'ils vivent dans des peuples barbares, soit parce qu'ils vivent sous des religions conçues pour tromper leur monde, ou simplement parce qu'ils sont nés dans une région où la dictature était inévitable, bien que paradoxalement inutile. Ou encore parce que leur science n'est pas assez développée... (comme la nôtre?).
Il existe donc deux types d'hommes : ceux qui vivent dans l'absurdité de la vie, et ceux qui ont confiance en l'avenir. Ceux qui n'ont pas de but, et ceux qui en ont un. Les deux peuvent vivre d'une façon à peu près similaire : par exemple, se tenir aux traditions. Pourquoi établir une encyclopédie? Jusqu'à quand faut-il le faire? N'y a-t-il rien de plus intéressant à faire dans la vie? Qu'importe, c'est mon rôle. Il est plus simple de suivre le chemin qui semble avoir été tracé pour nous, que de comprendre dans quel tout global ce chemin a été pensé, et savoir si dans ce tout, une autre méthode n'était pas meilleur, pour atteindre le même but.
Fondation nous explique en toute simplicité qu'il devient normal de faire mal vivre des dizaines milliards de personnes, si c'est pour que des milliers de milliards d'autres vivent mieux, au bout du compte. C'est une froideur intéressante : le savoir humain devient plus important pour l'humain, que l'humain lui-même. Les crises sont similaires au fonctionnement d'un humain, qui est cyclique : il est dans la routine, finit par prendre du recul et se questionner, chercher des réponses, puis on lui donne une impression de réponse, donc il est satisfait de son effort, et retourne dans sa routine jusqu'à réaliser (en partie) que ce n'était pas une vraie réponse, et donc à recommencer. Les hommes du roman ignorant les théories psychohistoriques n'ont pas de recul, ils ne savent pas qu'ils vivent malgré eux pour quelque chose. Ceux qui en revanche le savent, ne vont plus considérer les éléments agissant sur l'histoire avec nonchalance et résignation, comme le poids de l'histoire les écrasant, mais les voir comme des variables modifiables, par abstraction.
La question est, puisque ce livre présente une théorie intemporelle : comment cette idée agit-elle sur vous? Vous sentez-vous emporté par le flot de la société, des passions et sujets populaires? Avons-nous échoué à une crise Seldon? Et pouvons-nous seulement échouer à des crises, dans la mesure où en tant qu'éléments d'une masse, nous ne sommes ni Seldon lui-même, ni Salvor Hardin, ni Hober Mallow? Ce sont des individus qui luttent contre les crises, pas les masses. Qui sont ces individus? Ceux qui raisonnent pour le néolibéralisme? Qui sont prêts à tous les sacrifices pour le pétrole, pour l'énergie planétaire? Ceux qui ont rédigés les accords de Bretton Woods? Ceux qui maîtrisent l'information mondiale au point de populariser une théorie sociétale globale, puis de populariser l'inverse, et de les faire s'entrechoquer constamment aux yeux du grand public, occultant les théories humanistes plus directes, pendant que dans l'ombre ils agiront d'une toute autre façon, pour une raison... que nous ignorons?
Je ne sais pas. Il y a en tout cas un fossé entre cette maîtrise de la société (allant jusqu'à façonner et niveler ce que les gens peuvent espérer), et l'apparent résultat de cette maîtrise. Dans Fondation, nous nous rassurons en nous disant que qu'Asimov nous mènera bien quelque part.
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