En mai 1975, pendant que certains barbottent dans leurs couches, Michel Foucault expérimente la prise de LSD dans la vallée de la mort. Il a été invité par un enseignant californien, fan du philosophe : Simeon Wade. Cette rencontre est déjà un exploit, car rien ne garantissait que Foucault accepte cette escapade. Ce qui encore plus inattendu, c'est que Wade décide quelque jours après cette expérience de tout consigner par écrit, que Foucault relise ce compte-rendu et le valide. C'est ce témoignage qui paraît en 2019, et qui est traduit en France en 2021.
Disons-le d'emblée, ce récit est tout à fait passionnant. Il ne fait en lui-même que 115 pages, mais le lecteur est immergé dans le périple, découvre Foucault au naturel, suit ses réactions et ses réponses. Car ses interlocuteurs sont très curieux : ils l'interrogent sur tout ce qui leur passe par la tête, ayant bien conscience qu'ils côtoient l'intellectuel le plus célèbre du moment. Ils ont tous lu au moins un livre du philosophe. Précisons que mises à part une vingtaine de pages où est retranscrite la séance de questions-réponses organisée entre Foucault et des étudiants, cet ouvrage n'est pas philosophique. On suit pour l'essentiel les conversations entre Foucault, Wade et le conjoint de ce dernier. L'occasion pour Foucault d'évoquer Boulez, Lévi-Strauss, Merleau-Ponty, Genet, Bachelard, etc…, sur lesquels il parle franchement pour les avoir côtoyés personnellement. Il livre aussi des anecdotes sur son éditeur Plon, qui publie son Histoire de la folie sans même l'avoir lue. Foucault précise que dans la France de 1975, il n'a aucune chance de pouvoir s'exprimer à la télévision sur des thèmes comme la prison ou la politique. Le pouvoir de l'époque ne le permet pas. On mesure ici à quel point le système médiatique a été bouleversé en quarante ans.
Il faut aussi souligner que d'après Foucault lui-même (il l'a écrit par la suite dans des lettres adressées à Wade), son expérience dans le désert californien a bouleversé ses conceptions et donc ses publications parues jusqu'à sa mort.
On peut terminer par une réflexion assez importante que glisse Foucault à ses interlocuteurs américains : « quand je dis quelque chose (…) je parle pour le présent. Ce que je dis n'est pas destiné à résonner dans le futur ». Pourtant, près de cinquante ans après, on fait toujours parler Foucault.