Je ne m’attendais pas du tout à ce que le récit m’emmène sur ce terrain là. Je ne connaissais la créature de Frankenstein qu’à travers les poncifs populaires et n’avait pas vu un seul film.
J’avais en tête que Frankenstein était un ovni littéraire dans le paysage du XIXème siècle, un roman psychologisant et précurseur de la science-fiction.
Je ne pensais pas que la créature créée par Frankenstein était aussi ambivalente et vrillait si radicalement, je pensais même qu’elle resterait avec son créateur tout le long de l’intrigue et qu’il ne serait pas assez primaire pour le rejeter à cause de sa laideur. Bref, je pensais beaucoup trop de choses !
J’aurai préféré que la psychologie soit encore plus fouillée, au détriment de l’action qui s’étire souvent dans des détours allongeant inutilement l’intrigue (la mission de l’explorateur Walton, l’accueil d’Elizabeth dans la famille, le récit sur la chute de la famille Lacey, l’étrangère Safie…). L’intrigue en récits enchâssés m’a semblé indigeste, mais elle avait surement des attraits stylistiques pour l’époque.
J’avais des attentes sur la dimension introspectif du roman (condition humaine, réflexion sur la science) mais j’ai plutôt eu l’impression de lire un livre d’action subtilement horrifique, et il m’a vraiment happé. Le récit de la créature qui explique comment elle a tenté à s’intégrer à la communauté humaine en observant une famille paysanne qu’elle a profondément idéalisé m’a énormément plu. Le plus grand attrait de Frankenstein, c’est de susciter une profonde empathie pour la créature, malgré toutes les exactions sordides qu’elle accomplit. On en vient à lui donner raison, surtout quand son créateur lui même ne prend pas la responsabilité de lui tenir compagnie et d’en faire un être qui se rapproche de l’être humain. Frankenstein rejetant directement sa créature quand elle prend enfin vie, c’est un manque de finesse psychologique flagrante à mon sens. A aucun moment, il ne se rend compte qu’il a lui même créé cette violence, il est question d’annihiler la créature (soit en lui donnant une compagne, soit en la supprimant), mais jamais de lui donner un cadre aimant nécessaire à son bonheur.
Bien sûr, je sais que ma critique est celle d’une lectrice du XXIème siècle donc j’ai conscience que ce que je vois comme des manquements étaient considérés comme avant-gardiste et profondément moderne à sa publication. Frankenstein était un roman visionnaire en 1821 et c’est ce volet psychologique/philosophique qui a le plus mal vieilli.
Ça aura quand même été un bon moment de lecture, je ne l’ai pas vu passer : l’écriture de Marie Shelley est fluide et élégante et on se demande anxieusement comment va se terminer le récit. Je ne suis pas fan du style gothique (les sentiments affectés, les grands étalages de chagrin, tout ça ne me semble pas très authentiques) mais les questionnements ontologiques du monstre sortent des stéréotypes convenus du genre… une belle lecture quand même !