Je reste sur une impression mitigée concernant ce roman de la québécoise Mireille Gagné. Si son titre est… frappant, avec une illustration de couverture qui ne passe pas inaperçue, je m’attendais à découvrir un roman sinon de Science-Fiction, du moins à tendance fantastique. Or, j’arrive à la conclusion que non.


Avant toute chose, la première page nous donne des informations à propos du titre. Le mot Frappabord désigne le nom générique donné au Québec à diverses variétés de mouches piqueuses qui ressemblent fortement à ce que nous connaissons sous l’appellation de taon. L’insecte frappe d’abord sa victime avant d’arracher une portion de peau pour pomper son sang. Frappabord est dérivé de Frappe-à-mort, Frappe-babord et Frappe-d’abord.


L’essentiel de la narration commence le 14 juillet 1942. Un Canadien nommé Thomas, entomologiste de son état, est réquisitionné pour mener des études sur des insectes sur une île située semble-t-il dans l’embouchure du Saint-Laurent. Il y retrouve quelques dizaines de scientifiques venus des États-Unis, d’Angleterre et du Canada. Pourquoi une île ? Parce que ces scientifiques vont pouvoir rester au secret. En effet, ils vont mener des recherches à des fins militaires, pour le compte des Alliés. C’est l’occasion de dire que ce roman, œuvre de fiction, s’inspire de faits historiques. En effet, une note en fin de volume explique que des recherches biologiques ont été menées entre 1942 et 1956 à Grosse-île pour étudier la possibilité d’utiliser des insectes comme vecteurs de transmissions de contaminations infectieuses. Ce qui veut dire que dès cette époque, la guerre bactériologique faisait partie des hypothèses, après la guerre chimique pendant la Grande Guerre qui imposa l’utilisation de masques à gaz.


D’une lecture aisée (et d’une certaine originalité dans sa présentation), ce roman s’intéresse donc à Thomas qui travaille et observe. Ma perplexité vient du fait que le roman brouille les pistes en évoquant un nommé Emeril, collaborateur de Thomas, semble-t-il victime d’une contamination accidentelle. Or, on retrouve dans la narration un Emeril (prénom inhabituel) dans une autre situation, en lien avec un certain Théodore. La lecture incite à penser qu’il n’y a qu’un seul Emeril et que Thomas et Théodore ne font qu’un, alors qu’on a l’impression que ce que le roman décrit à leur propos se passe à deux époques distinctes. On s’imagine longtemps que la narration va permettre de faire converger les deux histoires, mais finalement non.


D’autre part, quelques courts chapitres font intervenir un Frappabord comme narrateur, le texte nous décrivant par le menu sa façon de chercher et observer sa future proie, puis son choix du moment opportun pour passer à l’attaque. Cela pourrait éventuellement passer, alors même que le roman laisse l’insecte penser de manière très raisonnée, un peu comme un humain. Là où ça ne colle pas à mon avis, c’est dans la description de ce qui se passe finalement du côté des insectes. En effet, Mireille Gagné écrit ce roman avec le souci de délivrer un message à tendance écologiste. En gros, elle considère l’action globale de l’Homme comme néfaste. A force de faire plus ou moins n’importe quoi, il dégrade son environnement sans trop s’en soucier. Jusqu’au moment où le point de non-retour sera dépassé et où les forces naturelles produiront des catastrophes contre lesquelles l’Homme se montrera impuissant. Mireille Gagné présente cela comme un plan des espèces vivantes contre l’Homme, laissant entendre que ces espèces sont capables d’un calcul pour détruire l’Homme comme celui-ci détruit son environnement. Si l’Homme dégrade son environnement en dépit du bon sens, un peu comme s’il ne réalisait pas qu’il est en train de scier la branche sur laquelle il est assis, les forces de la nature agissent à mon avis sans le moindre calcul, raisonnement ou une quelconque intention néfaste. C’est l’action de l’Homme elle-même qui provoque les conditions pour qu’apparaissent ces catastrophes dites naturelles. Attribuer des intentions belliqueuses à des insectes, c’est bon pour inquiéter un public attiré par les sensations fortes, à l’image de cette illustration de couverture où une mouche en gros plan fait un tout autre effet qu’en taille réelle, surtout en jouant sur les couleurs.

Electron
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le 19 juin 2024

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