Sous le plafond doré de la chambre aux lourds rideaux cramoisis, pareils à un théâtre où se jouait le drame du désir humain, ils s’étreignaient, tels deux pèlerins haletants cherchant l’entrée du paradis dans une traversée nocturne pleine d’alacrité. Elle, l’égérie, l’éther-étoilée, ma chère musetta, tandis que lui, Apollon déchu, ardent soupirant dont les tempes battaient sous le labeur des fièvres de l’amour – un chevalier trop épuisé pour la querelle, mais ô combien prêt-à-brûler.

Les deux amants, Oskar et Julia, se trouvaient enlacés dans un tableau digne des plus fervents poèmes de Lamartine ou des frasques voluptueuses d’un Marivaux sous l’emprise de too munch de muscat. Elle, déesse de la juiciness, incarnait une musseau renaissance. Ses cheveux, un enchevêtrement savamment négligé, dégringolaient comme une cataracte céleste jusqu’à ses épaules frémissantes. Lui, tel un héros d’opérette teutonique perdu dans un songe libertin, tenait fermement entre ses bras cette créature en soie, aussi fragile qu’un clavecin sous les doigts d’Horowitz lors d’une nuit de pleine lune à Carnegie Hall.


— Mon amour, ma douce, mon… mon Brotzeitkuchen, susurra Oskar, invoquant un allemand plus guttural que sensé, mais étrangement approprié à la courbe somptueuse qu’il contemplait. Ce « Brotzeitkuchen », cette brown Hashbrown bien aimée, n’était autre que le séant enormous de Julia, aussi parfait qu’une peinture baroque de Rubens sous un halo doré.

Et tandis que ses bras s’entrelacèrent dans une étreinte qui semblait avoir été chorégraphiée par les hells angels, les gestes d’Oskar ressemblaient, au mieux, à un pianiste dévoré par le feu d’une Rhapsodie hongroise rapido pesto. Chaque toucher était une note — délicate ou frénétique — un prélude aux harmoniques du plaisir, un mouvement parfaitement cadencé. Le sol sous eux semblait vibrer avec une ferveur qui aurait pu faire frémir même les parquets sacrés de Salzbourg.


Soudain, alors qu’ils atteignaient cette position mythologique qu’un certain Cassanova eût qualifiée de « Enjambé inversé », un bruit électrique, un frisson du destin, s’immisça dans le sanctuaire sacré de leur luxure.


Julia, alanguie sur les draps ivoirins comme une nymphe antique fuyant l’ombre d’Apollon, répondit par un sourire effronté :


— Tu es mon oiseau de nuit, mon clavecin fou, ma symphonie du désir en ut majeur.


— Mon dieu! Was is Hagen daz? s’écria Oskar en roulant maladroitement sur le côté, la grâce d’un éléphant mozartien sur la banquise fondue.


Un frisson hérissa les omoplates parfaitement sculptées de Julia : le son, strident, digne d’un clavecin désaccordé et possédé par quelque démon bavaresque, provenait du lustre en cristal suspendu juste au-dessus de leur arène charnelle. Le lustre — ce monument flamboyant d’une époque où les bourgeois étaient plus marvelous que jamais — tremblotait, oscillait, menaçant d’embrasser le sol dans un finale dramatique aussi ridicule qu’inattendu.


— C’est… le fantôme de Schoenberg? chuchota Julia, d’une voix mêlant sarcasme et terreur candide.


Oskar, fronçant ses sourcils trop soigneusement épilés, s’exclama :


— Non, mahoney, c’est un mauvais augure !


À cet instant, dans une ironie cruelle qui aurait ravi Maupassant, un bruit sourd retentit : le plafond — trop vieux, trop capricieux — lâcha une fine pluie de plâtre, qui vint saupoudrer leur lit comme du sucre glace sur un kouglof des Carpates. Julia hurla, ses bras battant l’air comme les ailes d’une colombe en cage :


— Aïe, aïe, ¡Dios mío! Cela tombe sur ma brown hotcake!


Oskar, valeureux mais inutile, s’efforça d’intercepter un morceau de plâtre en criant des incantations confuses.


— Verdammt! Zut allures! A catastrophe totale!

Julia, désormais debout sur le lit, tentait d’épousseter son derrière avec la dignité d’une marquise de Versailles, tout en vociférant à l’adresse des cieux :

— Mon god! 


— « Herr Baron, Fraulein… je crains d’interrompre votre passion über alles, mais le clavecin s’est effondré dans la grande salle. Une catastrophe de style baroque, je vous le concède, mais un clavecin ne pardonne pas l’oubli. »


Il ponctua sa déclaration d’un rire nervoso qui eût fait honte à un sous-chef malicieux dans une opérette médiocre. Lui, toujours naked as a jaybird, rugit :


— « Maudit soit ce clavecin, ce faiseur de grincements! Qu’il aille rejoindre les charniers où dorment les clavecins d’un âge passé ! »


Dietrich, imperturbable, darda son regard sur la dame, dont les courbes n’étaient plus aussi pudiquement camouflées qu’une Señorita de Velázquez.


— « Señora, je crains que le grincement ne provienne… du plafond. Lo siento, mais nous avons un ratón monumental dans les combles. »


Un silence sidéral s’abattit alors sur la pièce, comme si même les murs retenaient leur souffle. Lui, mortifié, murmura :

— « Un rat ? »


Elle, dont les cheveux s’étaient éparpillés dans un désordre romantique digne d’une gravure du XIXe siècle, hurla :


— « ¡Santa Maria! Un Mickey mousse ? Ici ? Alors, le spectacle est terminé. Finito! Je ne partagerai pas mes nuits avec un descendant de Rattus Norvegicus ! »


Dietrich s’inclina avec la grâce d’un automate rouillé et murmura, avant de disparaître :

— « Mes respects, Herr Baron, Fraulein. Gute Nacht et… bon appétit si vous terminez votre… symphonie charnelle. »


Restés seuls, les amants se regardèrent, pétrifiés. Lui, retrouvant un semblant de dignité dans ce chaos, se drapa dans un drap comme César réclamant son trône.


— « Ma chère, qu’importe un rat quand nous possédons encore l’univers tout entier entre nos bras ? Notre épopée ne saurait s’achever sur un rongeur. Horowitz lui-même… n’aurait pas laissé un tel imprévu interrompre son jeu. »


Elle, avec un soupir résigné, se laissa retomber dans le lit, son dos formant une ligne aussi noble qu’un violoncelle Stradivarius.


— « Soit! Mais promettez-moi… si ce rat revient, nous l’appellerons Dietrich. »


Et dans l’ombre de ce lit en désordre, où l’orgueil d’un clavecin en ruine vibrait encore comme une corde trop tendue, ils reprirent leur épopée comme deux musiciens décidés à jouer, croute que coûte, jusqu’à la dernière mesure.


Et, malgré les plâtres menaçants et les souris farceuses, la nuit s’étira comme une fugue interminable, où chaque silence pesait autant que chaque note jouée. Et le reste est trop risqué pour être décrit.



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