Lorsque je retourne dans la chambre de mon adolescence, l’un de mes grands plaisirs est de replonger dans mes recueils de poésies ; les égrener à nouveau, me complaire dans les vers mélancoliques des romantiques, sentir mon âme s’embraser à la lecture de poèmes russes ou rechercher quelques mots merveilleux qui m’avaient encore échappés.
En Mai 2023, ce fut une grande redécouverte qui s’’imposait à moi.
Mon regard s’était posé sur René Char. Je me souvenais bien l’avoir lu mais j’étais absolument incapable d’extraire de ma mémoire, un sentiment, un style, une poussière de mots ou un fragment d’idée. La chose en était d’autant plus surprenante qu’en le sauvant de l’oubli de ma bibliothèque, je m’aperçue que j’avais corné un très grand nombre de poèmes (ce qui manifestait mon intérêt pour ceux-ci).
Alors curieusement, fébrilement et innocemment, je le rouvris et je lus ceci :
« Les ans passèrent. Les orages moururent. Le monde s’en alla. J’avais mal de sentir que ton cœur justement ne m’apercevait plus. Je t’aimais. En mon absence de visage et mon vide de bonheur. Je t’aimais changeant en tout, fidèle à toi ».
J’ai lu aussi ceci :
« Je n’entrerai pas dans votre cœur pour limiter sa mémoire. Je ne retiendrai pas votre bouche pour l’empêcher de s’entrouvrir sur le bleu de l’air et la soif de partir. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne devienne introuvable ».
Puis j’ai lu encore tant et tant de choses que j’en étais ravagée. Je suffoquais de tant de force. De ces mots qui étaient des poignards, de ces phrases qui étaient des incendies.
Je comprenais que si j’avais auparavant aimé ces poèmes sans les retenir, c’était que j’en avais pressenti le mystère mais je n’en avais pas mesuré la fureur.
Ces lettres assemblées sur le grain des pages sont mon âme quand je cours sous l’orage. Elles sont le tonnerre de mon cœur en lambeau. Elles sont le cri que j’étouffe.
Il n’est plus tellement question d’amour dans ces vers. Il est question de souffrance poussé à un degré tel qu’elle devient décorrélé de l’autre.
Quand il n’y a plus l’espoir de le voir revenir. Quand il n’y a plus le désir d’être aimé par lui. Quand il n’y a plus la jalousie. Quand il n’y a plus l’admiration. Quand il n’y a même plus l’illusion. Mais qu’il reste l’absurdité de l’absolu Amour.
« Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus : qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas ? ».
René Char résume par ce titre magnifique cet état de l’être : « J’habite une douleur ».