Gabriële, biographie de Gabriële Buffet-Picabia, femme de Francis Picabia, amante de Marcel Duchamp, amie de Guillaume Apollinaire et érégie de tous ces hommes, est un très bon livre pour le simple fait de briller à éviter les pièges tendus par ce genre d'exercice. Au croisement du roman Belle Epoque, du récit biographique et de la revue artistique, il fallait une plume fluide pour rendre tout cela aussi crédible que digeste et c'est bien la force de cet ouvrage écrit à quatre mains. C'était pourtant une entreprise audacieuse alors que le livre est particulièrement dense, que les références artistiques sont nombreuses pour les non-initiés, que l'immersion dans l'esprit décalé de l'art cubiste n'est pas toujours simple à vulgariser et surtout qu'il s'agit d'une simple biographie, romancée d'une certaine manière mais biographie tout de même. Ce genre littéraire qui s'économise l'effort de l'imagination pour coller avec détails à la réalité n'est pas ma tasse de thé, la vie des hommes aussi grandiose ou intéressante soit-elle - et celle de Gabriële Buffet-Picabia ne manque pas d'anecdotes - n'échappe généralement pas au fait que la trame narrative d'une existence manque souvent de structure et de rebondissements cohérents. Pourtant les soeurs Berest réussissent à mélanger tous ces ingrédients sur plus de 400 pages sans rendre le récit plat, répétitif, excessivement complexe voire, pire, pénible à la lecture. Chapeau bas !
Le secret indéniable de ce roman sont ces personnages à la psychologie originale. Le couple Picabia, dans sa complexité et sa folie, est la voûte mais un certain nombre de personnes, plus ou moins célèbres, gravitent autour d'eux et viennent ajouter à leur manière le piquant nécessaire à l'évolution du récit. A force de sonder leurs plus profondes abysses psychologiques, ils nous accompagnent comme de vieux amis que l'on connaitrait par coeur et que nous n'avons plus envie de laisser. Ouvrir le livre à nouveau c'est les retrouver et vivre avec eux leur folie bohème avec délectation, étonnement et parfois agacement. La première partie de l'oeuvre consacrée à la jeunesse de Gabriële est géniale mais les considérations très artistiques sur le cubisme et les nombreux passages dédiés davantage aux artistes qu'aux hommes (et femmes !) demandent un effort de compréhension et de recherche parallèle pour les non-initiés comme moi. Cela n'enlève cependant pas grand-chose au rythme de l'oeuvre et à l'intérêt principal du roman qui est la pérégrination d'une femme hors norme dans un milieu artistique en plein révolution.