Gioconda
8.2
Gioconda

livre de Nikos Kokàntzis (1975)

Quel plus beau et plus puissant contre-pied à l’abjection et à la haine qu’un indestructible amour ?

Né en 1927 à Thessalonique, l’auteur n’était encore qu’adolescent lorsqu’il y vécut ce qui devait rester sa plus grande histoire d’amour. Lui et sa jolie voisine juive, Gioconda, s’aimèrent passionnément, jusqu’à ce que, en 1943, la jeune fille fût déportée avec sa famille à Auschwitz, pour ne jamais en revenir. Trente ans plus tard, l’homme mûr décide de raconter cette histoire, pour que jamais l’oubli ne l’efface.


Le monde devenu fou n’empêche pas l’amour de naître, et tout peut bien s’écrouler, ces deux-là n’ont d’yeux l’un que pour l’autre. Les persécutions antisémites s’intensifient, les bombes pilonnent la ville toute proche : rien ne vient entamer la magie de leur fusion amoureuse, alors que leur jeune innocence s’initie aux vertiges de leur toute neuve sensualité. C’est en ressuscitant l’ingénuité de la découverte, et sans doute aussi en idéalisant un souvenir poli par trois décennies de nostalgie, que l’écrivain revit dans ces pages ses tendres ébats avec celle que la tragédie devait figer à jamais dans une mythique perfection.


Cet amour paraît d’autant plus lumineux et déchirant, qu’il est impuissant à conjurer ce qui n’apparaît qu’en sombre filigrane du récit, dans un contraste cruellement impitoyable. Avant d’être définitivement arraché, le fragile voilage que l’amour du jeune couple interpose entre son intimité et la terrible réalité du monde laisse malgré tout discrètement entrevoir l’approche inéluctable de ce que tous refusent encore d’appréhender. Et si seules de brèves mentions en parsèment le texte, c’est bien le sort monstrueux de la ville de Thessalonique, alors majoritairement juive, qui vient gonfler l’inguérissable chagrin du narrateur et hanter son récit. Sur les dizaines de milliers de Juifs de la ville, seulement deux pour cent échappèrent à la mort...


Ce très court livre, qui n’évoque que la lumière pour mieux dénoncer l’indicible, est bouleversant. Quel plus beau et plus puissant contre-pied à l’abjection et à la haine qu’un indestructible amour ?


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

Cannetille
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le 25 mars 2022

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