Franck Bouysse est démiurge: plus qu'un récit, c'est un univers qu'il construit.
Un roman de Bouysse, c'est un parfum d'orage qui s'insinue doucement dans l'espace: d'abord subtil, il se glisse dans les coins et recoins, devient plus présent, presque capiteux... Pas encore identifié, il agite, il inquiète...
Franck Bouysse est magicien, il nous fait sentir les premières gouttes de cette pluie lourde comme si elles nous tombaient sur le front, l'odeur de la terre mouillée... nous fait voir la lumière décliner...
On le sait, il arrivera ce moment où l'orage éclatera, chaque page nous en rapproche, chaque muscle se tend, jusqu'à la délivrance, quoi qu'elle implique.
Et le ciel n'en finit pas de tonner dans Glaise.
1er août 1914, 16 heures, tous les clochers de France sonnent le tocsin, la France vient de décréter la mobilisation générale.
Le 2 août, les hommes quittent leur famille, persuadés de rentrer dans quelques semaines.
Les hommes se regardèrent, incrédules, comme s'ils cherchaient une vaine explication à leur présence ici. Et ils baissèrent les yeux en manière de recueillement singulier, dirigé vers parents, frères, sœurs, femmes, enfants. Spectacle poignant, quand l'idée de la mort s'engouffra sous les képis, la conscience aiguë que le voyage n'avait pas encore commencé, le véritable voyage, celui qui allait les déverser dans l'horreur à la manière de lemmings programmés pour le suicide
Victor Landry laisse ses terres et son Cantal natal entre les mains de sa mère, de sa femme, et de son fils Joseph, qui sera aidé du vieux Léonard, le voisin, l'ami ancestral.
Joseph n'est presque plus un enfant, mais pas encore un homme et doit pourtant assumer les responsabilités de chef de famille.
Le pénible équilibre de la famille vacille le jour où une mère et sa fille viennent s'installer, nécessité de la guerre oblige, chez leur beau-frère et oncle, l'horrible Valette, resté au pays parce qu'estropié...
Glaise, c'est leur histoire à eux: ceux qui restent, qui attendent qui espèrent, qui survivent, aussi.
Ces gens dont la vie, du jour au lendemain, n'est plus guidée par ce qu'ils ont ou sont, mais par ce qu'ils n'ont plus, ou ne sont plus.
Car au fond, le cœur du roman, c'est bien l'absence.
Elle s'insinue, elle ronge les êtres: les familles qui n'en sont plus, le statut social qu'il faut oublier, les bêtes de somme qu'on n'a plus, la récoltes qu'on n'aura pas... La guerre elle-même est peu évoquée, pourtant elle est partout.
Car elle obsède, l'absence, parce que quand on ne sait rien, tout est possible, et qu'à partir de là que tout devient terrifiant...
Plus de lectures: https://chatpitres.blogspot.fr/