Du chamanisme à la sorcellerie, des mystères d’Eleusis aux soufis, de Marcion à Mani, des bogomiles aux cathares, des rose-croix aux théosophes, des franc-maçonneries au New Age et au transhumanisme, l’homme a été fasciné par les secrets. Il aspire à maîtriser toute chose. Le système explicatif complet qu’il recherche n'existe pas, mais c'est, par nature, indémontrable. Le mystère érige des barrières qui autorisent l’émergence de castes, de hiérarchies plus ou moins occultes et de jeux de pouvoir.
L’ésotérisme est un doctrine philosophique ou religieuse dont l’accès au contenu suppose une initiation, qui distinguera le pauvre type de l’initié. L’ésotériste universitaire Antoine Faivre retient six critères :
• les correspondances entre toutes les parties de l'univers ;
• la Nature conçue comme un être vivant fait de réseaux de sympathies et d'antipathies ;
• le rôle essentiel de l'imagination et des médiations (rituels, nombres, symboles, images, visions, anges, esprits...) ;
• l’expérience de la transmutation intérieure (illumination, sagesse...) ;
• la pratique de la concordance (les diverses traditions s'accordent) ;
• la transmission de connaissances de maître spirituel à disciple.
Il n’y pas d’ésotérisme catholique, mais une lecture ésotérique de la vie de Jésus, qui s’ajoute aux innombrables interprétations, musulmanes, positivistes, marxistes ou autres… La gnose chrétienne était déjà présente du vivant du Christ. La réincarnation (des seuls initiés) se substitue à la résurrection des morts (pour tous), des rites bizarres et hermétiques à la liturgie et à la prière commune, le nom de Jésus s'efface devant des noms (secrets) issus de la Kabbale, la défiance envers l'Eglise est répandue et enseignée, elle cacherait la vérité au bon peuple. Le gourou flatte l'égo (l’orgueil) du pigeon : si tu m’obéis et craches au bassinet, je t'apprendrai la vérité, à toi seul, mais surtout ne la répète pas.
L’église catholique propose comme clé du monde la figure du Christ. Ce n'est plus un système (secret) mais la relation à une personne qui éclaire. Ce n'est plus un système pour initiés mais un salut offert (fait de savoir et de non savoir) à tous. Ce qui ne signifie pas pour autant que le catholicisme soit simpliste. Un mystère chrétien (la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption, la liberté accordée au mal) n’est pas une vérité cachée aux yeux des fidèles, mais une vérité qui dépasse nos limites humaines. Ce qui ne nous dispense pas de mobiliser notre raison, éclairée par de don de la grâce, pour creuser le sujet.
Par son rejet radical du monde réel (mauvais par nature) ou sa volonté d’émanciper l’esprit des contraintes de la condition charnelle (le développement personnel illimité), ce mode de pensée imprègne la culture contemporaine. Laissons le dernier mot à Roland Hureaux : « La gnose en est ainsi venue à imprégner des courants comme la franc-maçonnerie ou le New Age et à inspirer des idées qui ont joué un rôle important dans l'émergence du monde moderne : sinon la science elle-même, du moins la primauté du savoir, l'idée que l'esprit peut tout sur la matière ou que des sachants, initiés à certains secrets, sont fondés à régenter les sociétés. La remise en cause libertaire de la morale judéo-chrétienne trouve aussi son origine dans la gnose. »