Grand Père
7.5
Grand Père

livre de Jean-Louis Costes (2005)

« On ne voit bien le mal de ce monde qu'à condition de l'exagérer », écrivait Léon Bloy dans son journal. Et en effet, vu par les seuls yeux clairvoyants, les yeux du Dieu d'Amour, le moindre des maux, la plus petite désobéissance orgueilleuse à la loi d'amour, résonnant dans l'infini de l'amour, apparaît comme une violence inouïe pleine de sang et de haine.

Ce réservoir jamais exsangue de mal, ces horreurs perpétrées par l'humanité tout au long de son histoire, Jean-Louis Costes, dans ce roman, les ressasse, les accumule, les démultiplie, les exagère et trouve encore le moyen d'exagérer l'exagération. On peut évoquer L.-F. Céline. On peut évoquer Antonin Artaud et son Héliogabale. On peut évoquer un Léon Bloy moderne qui aurait perdu les pédales ou un Serge Rivron morbide qui aurait mixé (au mixeur affûté bien sanglant) Crafouilli et La Chair. Burgess, aussi, qui tenta de condenser dans un livre, Les Puissances des Ténèbres, tout le mal qui enferra et guida le XXe siècle. Costes condense en un personnage, le grand-père Garnick, l'engrenage de violence du XXe siècle, répercussion d'un unique péché originel transmis de père en fils. Attention, lecture pas pour tout le monde, « tripes caca sang sperme ».

Comme Iohann Moritz dans La Vingt-cinquième heure, de Virgil Gheorghiu, le grand-père Garnick est une victime trimballée de pogrom en pogrom, mais il est en même temps le bourreau, « pogromé pogromeur », ivre de vengeance, ne vivant que pour tuer, prêtant son dos au fouet dans le seul but de pouvoir tuer le fouetteur, mu par le sang, tour à tour cosaque, légionnaire, bagnard, contrebandier, jusqu'à ce que le monde pacifié lui interdise la poursuite de sa carrière de tueur et que, sédentarisé de force, il retourne sa haine contre lui-même, se tuant à petit feu avec les clopes, la vinasse et la télé, sans bouger, sans parler, sans penser, bourreau de soi-même, dernière victime expiatrice pour le péché originel, la première fêlure d'amour, la première lâcheté qui, vue par les yeux de l'amour infini du Grand Père que chacun porte en soi, prend des allures de pogrom, de premier pogrom appelant tous les autres, par dépit, par souffrance, parce que, la première vertèbre étant fêlée, l'équilibre de toute la colonne vertébrale est compromis, tout doit se casser la gueule et mener au charnier de l'Histoire. Et alors, quand le grand-père Garnick meurt enfin, ayant souffert et fait souffrir le monde entier tout au long de sa vie merdique, il peut enfin accepter la paix et ne plus désirer le sang, et s'envoler dans le sein du Grand Père éternel.

Costes nous offre ainsi, dans ce roman, sa vision peu orthodoxe mais flirtant quelque peu avec le christianisme, de l'origine du mal, du poids des crimes des pères sur les épaules des enfants, de la tyrannie de l'espèce sur l'individu en mal de libre-arbitre, de l'espérance quand même d'une rédemption permettant à l'individu de trouver ou retrouver l'amour originel et un corps glorieux.

SugarBoy
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le 23 déc. 2024

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Gaspard Rivron

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