Je parle durement aux morts parce qu’il faut leur parler dur, debout
sur des toits glissants, les deux mains en porte-voix et sur un ton
courroucé pour dominer le silence assourdissant qui voudrait nous
séparer, nous les morts et les vivants.
J’ai de toi quelques bijoux, comme des fragments de l’hiver qui
descendent les rivières. Ce bracelet fut de toi qui brille en la nuit
d’un coffre en cette nuit écrasée où le croissant de la lune tente en
vain de se lever et recommence toujours, prisonnier de l’impossible.
J’ai été toi si fortement, moi qui le suis si faiblement et si rivés
tous les deux que nous eussions dû mourir ensemble comme deux matelots
mi-noyés et s’empêchant l’un l’autre de nager, et se donnant encore
des coups de pied dans les profondeurs de l’Atlantique où commencent
les poissons aveugles et les horizons verticaux.
Parce que tu as été moi je puis regarder un jardin sans penser à autre
chose choisir parmi mes regards et aller à ma rencontre. Peut-être
reste-t-il encore un ongle de tes mains parmi les ongles de mes mains,
un de tes cils mêlés aux miens; un de tes battements s’égare-t-il
parmi les battements de mon cœur, je le devine entre tous et je sais
le retenir.
Mais ton cœur bat-il encore? Tu n’as plus besoin de cœur. Tu vis
séparée de toi comme si tu étais ta propre sœur, ma morte de
vingt-huit ans dans ton sourire sans amarres, me regardant de
trois-quarts avec l’âme en équilibre et pleine de retenue. Tu portes
la même robe que rien n’usera plus, elle est entrée dans l’éternité
avec beaucoup de douceur et change parfois de couleur, mais je suis
seul à savoir.