Gravitations ; Débarcadères : les deux éléments qui imprègnent la poésie de Supervielle sont annoncés dès le titre. Air et eau. Et le poète se tient, frêle, entre ces deux blocs d’immensité, tentant timidement de sonder leurs mystères. Sans jamais les outrager toutefois, avec une retenue pleine de tendresse pour tous ceux qu’il convoque : l’océan et la montagne, les oiseaux et les étoiles. Averti de l’ampleur de la tâche, il opte d’emblée pour la simplicité, le sourire, la fable. Rien d’obscur chez Supervielle, seulement des images d’une évidence frappante en même temps que d’une farouche originalité. C’est de l’opposition irréductible entre intériorité et infini que naît le drame, la raison d’être de Supervielle poète ; et c’est de ce drame que procèdent certaines pages poignantes. Car ce drame est aussi celui de l’exil, du départ de l’Uruguay pour l’Europe, dont le premier recueil, Débarcadères, traite plus particulièrement ; de la disparition des êtres chers, dont le poète cherche trace dans les Gravitations. Entre les deux recueils, d’ailleurs, sa voix semble s’être émancipée, s’être faite plus personnelle et, aussi, plus inquiète – avant de s’achever dans une tonalité presque apocalyptique, surprenante et moins convaincante. On préfère croire que s’il sillonne son cœur et sa mémoire, s’il interroge le nuage, donne la parole à la montagne, scrute les abysses, c’est bien pour trouver un apaisement et atteindre, peut-être, une « joie évasive comme la mélancolie ».