(contient des spoilers)
En une poignée de pages, on comprend tout de suite que l'on a affaire à du très bon Tolstoï. On est plongé en Tchétchénie, dans ce royaume islamique de montagnards, aux moeurs bien éloignées des nôtres. Et même s'il y a des choses à redire sur certaines de leurs manières (la femme est loin d'être égale à l'homme, ils ont un gros retard technologique, ...), on ne peut s'empêcher d'être enchanté par cet univers de la sobriété, où l'on respecte l'invité au point de lui offrir tout ce qu'on a.
Le livre n'hésite pas à développer les personnages secondaires pour que chacun soit réaliste et creusé. On retrouve la formidable lucidité de Tolstoï ! Voilà qu'on s'attarde sur un groupe de soldats russes, en particulier sur le drame Adveïev ; voilà que l'on développe la mentalité du tsar Nicolas et de son ministre de la guerre (d'ailleurs on remarque que Tolstoï n'aimait pas vraiment Nicolas, surtout si on compare avec les éloges dédiées à Alexandre dans Guerre et Paix) ; voilà qu'on va s'attarder sur une famille Tchétchène, et sur les membres du groupe d'Hadji Mourad ; mais aussi sur Butler le soldat joueur, ETC. Il est très rare de compter autant de personnages en si peu de pages ! Et ça, j'adore.
Et c'est sans parler du personnage principal qui a quand même bien la classe, qui est éduqué, élégant, et relativement ouvert. Sa fascination pour la montre est touchante, j'ai trouvé.
L'histoire est très intéressante et nous place dans un univers original, exotique. Cela explique en partie les relations tendues entre la Russie et la Tchétchénie. Quasiment tous les personnages, pris indépendamment, sont bons et honnêtes, mais on se rend compte qu'il y a un mouvement quasi inexorable vers une dégradation des relations. D'abord les univers des deux camps sont très différents. Et surtout il y a de très mauvaises décisions qui sont prises à on ne sait trop quel niveau hiérarchique. Quand les russes ravagent gaiement un village, ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils font. Quand les russes ignorent les demandes répétées d'Hadji Mourad pour aller sauver sa famille, on se demande pourquoi ils ne lèvent pas le petit doigt, mais forcément ça le pousse à s'enfuir et il advient ce qui doit advenir, qui est aussi une grosse con****.
De mauvaises décisions qui s'accumulent, font naître des tensions durables qui s'auto-alimentent et mènent vers plus de mauvaises décisions, pour résumer. Pourtant, mettez un russe et un tchétchène ensemble, et ils se rendent compte qu'ils ont beaucoup de points communs et qu'ils sont avant tout des hommes !
D'ordinaire j'ai un peu de mal avec les livres qui finissent mal (parce que là si on y réfléchit il n'y a pas l'ombre d'un truc positif), mais il m'a tellement transporté dans un autre monde que son 9 me parait mérité.