Tiens, on va parler technique narrative – on doit bien ça à la continuité pédagogique. Depuis le début du premier volume – et jusqu’à quand ? –, les aventures de Harry Potter sont racontées à la troisième personne : il fait ceci, il pense cela, etc. Or, à l’exception du prologue de l’École des sorciers, on pourrait les transposer à la première personne sans qu’il y ait rien à couper ; en termes de distribution de l’information, cela reviendrait strictement au même. Quand une action s’accomplit hors du regard de Harry, on la lui raconte ensuite.
On peut voir dans ce choix une forme de simplicité / de pauvreté narrative, ou à la rigueur y déceler du suspense – utiliser la première personne impliquerait que le héros s’en tire. Et cela mène parfois à tirer l’intrigue par les cheveux – cf. le repas de Noël en comité restreint du chapitre 11. Je crois que l’objectif d’un tel choix est surtout – paradoxalement ? – de favoriser coûte que coûte une forme d’attachement, voire d’identification.
Or, un passage du Prisonnier d’Azkaban – peut-être d’autres, mais je les aurais ratés – propose une forme de dissonance ironique, donc de richesse, liée à l’emploi de la troisième personne : « Harry réfléchit un moment et décida que le moment où Gryffondor avait remporté la Coupe des Quatre Maisons, l’année dernière, était véritablement un très heureux souvenir » (chapitre 12, p. 250 en poche). Il « décida » : c’est-à-dire que Harry fait preuve de mauvaise foi – une mauvaise foi bénigne ou cruciale, c’est au choix du lecteur.
Mais cette fois, transposer la phrase à la première personne reviendrait à donner à Harry un regard sur lui-même, une introspection dont il était jusque là tout à fait dépourvu. (Parce que bon, pour le reste, notre héros reste limité par ses capacités de compréhension psychologique de garçon de quatrième – cela dit sans vouloir débiner les adolescents de treize ans.) L’utilisation de la troisième personne suscite une forme d’ironie, encore accentuée par les adverbes « véritablement » et « très » : on aurait là une manière presque adulte d’évoquer la souffrance morale du personnage.
Et le reste du roman ? Même principe que pour les deux premiers tomes : longue mise en place, succession d’épreuves où il s’agit de jouer serré, détails finaux pour ne laisser aucune zone d’ombre. Après Cerbère et le basilic – et avant les dragons –, un hippogriffe et un loup-garou. Un père de substitution (Sirius) en remplace un autre (Dumbledore). Et pour la première fois, le Bien social et le Bien réel ne se superposent plus. C’est-à-dire que le roman initiatique prend forme.
Pour finir, j’aime assez bien l’idée que le temps soit le motif récurrent du Prisonnier d’Azkaban, ou tout au moins un ressort dramatique intéressant : le Retourneur de Temps, l’âge suspect de Croûtard, sans compter l’exploration du passé de Harry.