Héliogabale
7.8
Héliogabale

livre de Antonin Artaud (1934)

« Il n’est pas impossible que ce soit vrai. »

« Si au lieu de s’attarder sur ses turpitudes parce que leur description anecdotique flatte leur goût de la crapule et leur amour de la facilité, les historiens avaient vraiment essayé de comprendre Héliogabale » (p. 65)… Mais Artaud fait-il autre chose ? Sur la façon qu’il a de psychologiser l’histoire, je ne dirai rien : toute une tradition historique le fait, de prétendus historiens actuels le font, et l’auteur du Pèse-Nerfs n’est pas un historien.
Une lecture attentive – peut-il y en avoir d’autres ? – d’Héliogabale d’Antonin Artaud dissipe moins de malentendus sur Héliogabale que sur Antonin Artaud. Ainsi ce dernier est-il capable de fureter dans les sources anciennes – et pas dans celles qui se trouvent sous le sabot d’un cheval – pour en tirer quelque chose de poétique : à trente-huit ans, le futur pensionnaire de Rodez s’offrait son Salammbô. Ainsi sa prédilection pour les fluides et les secrétions de tous ordres n’inonde-t-elle pas chaque page de ses textes : Héliogabale commence dans un « berceau de sperme » et se termine dans un cloaque, mais le reste est relativement sec. Ainsi le texte est-il rigoureusement construit. C’est qu’il faut bien mal connaître les malades mentaux pour croire que les élucubrations d’un fou ne s’appuient sur rien : si elle est discutable, notamment parce qu’Antonin Artaud fait systématiquement d’un empereur assoiffé de pouvoir un rebelle – mais alors contre quoi ? –, l’analyse du parcours d’Héliogabale, de ses liens avec la religion solaire qui marque la Syrie du IIIe siècle, de ce qu’on pourrait appeler sa psychologie, ne manque pas de cohérence.
Mais si Héliogabale emprunte aux ouvrages d’érudits leur méthodes de documentation, il n’est pas loin, comme les mauvais ouvrages d’érudits, de faire fi la clarté et de la lisibilité. Quiconque a déjà feuilleté une vieille monographie d’histoire de l’art ou lu en entier un livre de géographie universitaire comprendra de quoi je parle et en retrouvera le style dans certaines pages d’Héliogabale. On pourra objecter qu’Antonin Artaud, poète, contrairement à un chercheur, n’a pas à rechercher le confort de son lecteur. Évidemment aussi, on ne trouverait pas une phrase telle qu’« Il [Héliogabale] inaugure avec Zoticus le népotisme de la queue ! » (p. 120) dans un traité d’histoire romaine. Je pense que c’est une question d’équilibre des phrases qui rend cet hybride d’essai et de biographie par moments fastidieux.
Reste par ailleurs les idées reçues sur Antonin Artaud qu’Héliogabale corrobore : sa quête d’un absolu qui utilise et dépasse le concret ; son goût pour le mouvement et les forces contre le figement ; sa fascination, à laquelle se mêle sans doute quelque chose comme de l’identification, pour les marginaux persécutés et (qu’il envisage, abusivement ou à juste titre comme des) rebelles : ici un empereur romain, plus tard Van Gogh. Héliogabale n’est peut-être pas la meilleure façon de le découvrir.

Alcofribas
5
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le 16 août 2016

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Alcofribas

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