" Quand le bruit de vos pas s’efface, alors je crois que mon cœur ne bat pas "
Comme Hugo disait lui-même de Shakespeare qu'il a sublimé et bien plus qu'égalé ; Hernani, c'est le drame.
Hernani, c'est 1830, Hugo, c'est un jeune homme d'à peine 28 ans, épris de légendes épiques, d'héroïsme marginal, d'extraordinaire talent subversif et, bien que plus que d'idéal, de courage et de force. Car tous les idéaux qu'il déploie dans Cromwell, et qu'il théorise dans sa préface (oui oui, Cromwelle c'est une pièce, écrite trois ans plus tôt, et elle est absolument géniale) comme pilier fondateur du drame romantique qui sortira enfin le théâtre du tombeau où les Lumières l'ont laissé pourrir, il les offre enfin sur scène, à la foule de femmes et de penseurs, à la Comédie-Française elle-même, ravie de jouer enfin le drame romantique dans toute sa splendeur après une longue bataille avec la censure. Cependant rien de politique, de dénonciateur, aucun message évident dans Hernani. Nous sommes en Espagne, au XVI° siècle, dans les prémices du Siècle d'Or, dans une réalité particulièrement documentée. Réalité qui, elle-même, partira dans l'imaginaire au quatrième acte, dans le décor précis mais non conforme à la réalité d'Aix-la-Chapelle, au profit d'un couronnement, d'une trahison, d'un affrontement héroïque et spectaculaire. Hernani porte bien son sous-titre, " Tres para una ", et rien de compliqué ; Hernani, en apparence bandit marginal et dans l'ombre, a vingt ans, Carlos, roi imbu et jeune encore, a dix-neuf ans, don Ruy Gomez, noble dont l'âge fait tout, a soixante ans ; Doña Sol a dix-sept ans.
Comme son nom l'indique, Doña Sol, c'est le soleil, c'est l'astre, c'est la robe blanche, le personnage sublime qui réussit à illuminer la scène de sa présence et de sa passion. Elle absorbe tout le drame, elle véhicule les passions, les caractères rien qu'à l'étude de son nom, et l'action, dans laquelle elle fusionne avec son Hernani. Dans Hernani, la pièce comme le personnage, pas de revendication facile du poète maudit, comme on retrouvera chez Vigny par exemple (et Hugo n'a rien d'un maudit, sa gloire internationale suffit pour savoir comme son public, sa foule spectaculaire, aime les passions qu'il offre) ; les personnages sont responsables, sont fiers de leurs actions et, quel que soit leur âge, quel que soit leur statut, agissent contre les forces qui se posent au-dessus et accueillent la mort avec l'honneur qui lui est dû. L'honneur transparaît dans toute l'écriture, dans le vers, subtil et beau, de Hugo ; forme conventionnelle qu'il garde et qu'il bouleverse, continuant un vers sur, parfois, six répliques, usant et abusant des rejets et contre-rejets, qui, loin de mettre en valeur le vers, mettent en valeur le mot. Les vers illustrent des répliques d'amour, de sublime, et bien sûr de grotesque qu'il est nécessaire de souligner pour tout metteur en scène qui veut monter la pièce dan tout ce qu'elle a de romantique. Derrière tout le spectacle nécessaire qu'il induit, le premier drame réellement connu et reconnu de Hugo, avec Marion Delorme, après Cromwell, mêle autant que le grotesque et le sublime le spectacle et le mot ; car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu.