Polybe, un Grec plutôt romain
Auteur médiocre et vaniteux, on eût aimé que Polybe s'ingéniât à dégrossir son aridité stylistique plutôt qu'à décrier ses pairs dans de stériles digressions. Si l'Histoire de Polybe est restée...
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le 17 janv. 2023
Polybe voulait que ce texte grandement mutilé - il nous en reste environ 1300 pages, un tiers du texte initial et seul les cinq premiers des quarante livres sont complets- soit une histoire universelle. Des pourtours de la Méditerranée certes, mais il s'agit déjà d'un horizon impressionnant.
Il s'est intéressé à la période d'expansion la plus impressionnante de la République romaine, entre -218 et -168 (il remonte tout de même aux causes de la première guerre punique), même si bon nombre des territoires sous domination romaine après Pydna ne furent annexés véritablement qu'au siècle suivant.
Il se revendique d'une histoire essentiellement politique, documentée, aussi neutre que possible et à la recherche des causes plutôt que des simples circonstances. Sans doute ici peut on lui reprocher de n'avoir pas été à la hauteur de ses ambitions, ou en tout cas en-dessous d'un Thucydide ou d'un Hérodote : si sa documentation et sa connaissance des détails est impressionnante, sa neutralité laisse souvent à désirer, pas tellement pour ce qui est des guerres puniques, même si son admiration des Scipions lui joue quelque tours, mais plus pour les affaires de Grèce, auxquelles il consacre des développements quelques peu démesurés eut égard à la minceur du sujet dans les premières années du livre, et par exemple sa haine des Aitoliens n'est même pas dissimulée. Ceci semble s'améliorer tout de même lorsqu'on s'approche de l'époque vécue par Polybe lui-même - même si au vu de l'état des derniers livres cela reste quelque peu spéculatif - ce qui ne manquerait pas d'étonner les historiens modernes s'ils voulaient le remarquer. Quant à sa compréhension des causes et sa capacité à rendre l'enchainement des événements complexes, elles laissera sans doute quelque peu à désirer aux admirateurs de l'historien athénien, même si la mutilation du texte et l'ampleur du sujet ont sans doute leur part de responsabilité. De plus, ne détestant pas à l'occasion les perdants superbes, la tendance qu'à Polybe à discréditer toutes les tentatives tardives de résister à la puissance romaine est quelque peu agaçante.
Ces réserves mises à part, la lecture de cet ouvrage est éminemment instructive pour un esprit averti - le paratexte de qualité, qui laisse la place à l'imagination y aide beaucoup - c'est une belle collection Quarto. C'est en grande partie due à la période décrite. Si certains ont préféré se passionner pour les exploits tactiques d'Hannibal ou de Scipion - on pensera aux rangs de l'armée prussienne, les plus belles pages concernent plutôt la politique de la Rome vainqueur des puniques, et déjà quasi hégémonique en Méditerranée. Cette façon particulièrement perverse de se poser en défenseur et arbitre de tous les conflits, de défendre le faible contre le fort non pas par justice, on verra plus tard que la justice romaine peut être cruelle, mais par calcul cynique : diviser pour régner. On admirera aussi la propagande romaine, capable de faire croire que son extension gigantesque n'est qu'une conséquence d'une série de guerres justes (déjà...) et défensives.
Même Polybe, pourtant admirateur des romains, ne tombe pas tout à fait dans le piège. Voyez plutôt :
"Telle est en effet aujourd'hui la politique des Romains : ils tirent habilement parti des erreurs d'autrui pour étendre et renforcer leur propre domination et, ce faisant, ils gagnent la reconnaissance de ceux qui commettent des fautes, en ayant l'air de leur rendre service."
Et en effet, même après Pydna, la Grèce conserve une relative indépendance, jusqu'à ce que l'impérialisme romain, n'ayant plus de réelle opposition, dévoile sa cruauté. Ce qui nous reste du texte laisse deviner que notre historien mégapolitain a dû mettre un peu d'eau dans son vin scipionesque après avoir assisté aux affreuses destructions de Carthage et de Corinthe. La barbarie n'avait plus à se dissimuler.
Reste une chose : comprendre l'attitude de ceux qui ont été finalement soumis au joug latin.
On devine derrière une conquête de la Grèce relativement facile une conséquence naturelle du fractionnement de ce pays et de ses dissensions internes, mais aussi d'une grave crise économique dû à l'endettement des plus pauvres auprès des "gens de bien". Il faut voir comment est traité Cléomène, le seul à avoir tenté avec quelque succès d'y remédier (on lira aussi avec profit sa vie chez Plutarque, ainsi que celle des Gracques, de Marius et de Sylla...). C'est donc peut-être aussi les dissensions internes aux cités qui ont causé leurs pertes - il est tentant d'ajouter "une fois de plus".
Mais il semble difficilement acceptable de mettre sur le dos de la forme politique "cité" la faiblesse grecque : les royaumes hellénistiques, trop occupés à se disputer -encore plus d'un siècle après- l'empire d'Alexandre, se sont en général montrés encore plus incapables de se défendre. Seule l'ambition de conquête de Philippe -personnage pas toujours sympathique, mais indubitablement brillant, puis de son fils Persée, ont pu faire contrepoids, mais elles ont dû s'appuyer sur ses alliés grecs, et d'ailleurs la tiédeur de Persée à s'allier les cités explique parfaitement une défaite peut-être pas si inéluctable.
On devine pourtant une envie un peu tardive de s'unir et de résister. Les plus virulents, les Aitoliens étaient les premiers alliés romains dans la région, ils furent bien mal récompensés. La relativement puissante confédération achéenne a longtemps voulu ménager la chèvre et le chou (cette politique a été celle effectivement défendu par Polybe, et son père avant lui), et n'a réagi qu'après Pydna, sans allié, et les conséquences ont été des plus prévisibles. Et de nombreuses cités se considéraient alliées aux Romains, choix fait autrefois pour conserver leur indépendance, et qu'elles espéraient payer. Rhodes eut à s'en mordre les doigts.
Forcément face à cela, le texte de Polybe prend pour le lecteur moderne un peu philhellène un tour quelque peu tragique.
Alors quoi ? Fallait-il donc suivre la politique athénienne de l'époque ? La cité de Thémistocle - de tous les politiques grecs, peut-être celui qui mérite le plus l'admiration - a-t-elle eue raison de s'incliner avec veulerie devant ceux qui tour à tour jouèrent le tyran du jour ? Question vide de sens : l'histoire est faite. Mais elle est aussi à faire.
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le 8 sept. 2016
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