L'Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide prend le contrepied des Histoires d'Hérodote. L'auteur le signifie dans son premier livre, lançant ce trait à l'égard de son prédécesseur au XXIème paragraphe : « plus amoureux de chatouiller l’oreille que d’être vrais, rassemblent des faits qui, dénués de preuves, généralement altérés par le temps et dépourvus de vraisemblance, méritent d’être placés entre les fables ». Il détaille sa méthode de travail au paragraphe suivant, prenant appui sur de nombreux témoins et examinant leurs contradictions pour démêler le vrai du faux et surtout rejeter toute sorte de fantaisie. Il est vrai qu'on attribue à Hérodote son manque de sérieux en ce qu'il semblait considérer les récits que lui rapportait le premier venu et sa mauvaise habitude de faire grand cas des oracles. On rajoute également que Thucydide suit une narration strictement chronologique, limitant ses rares digressions à des précis historiques. Si l'on peut noter l'effort de l'auteur à marquer temporellement son récit, en découpant pour chaque année les évènements de l'été et de l'hiver, on regrette néanmoins que ces références soient si floues. On constate malgré tout une organisation du récit tout aussi chaotique que ne l'était celle d'Hérodote. Pourquoi ? Le problème d'une narration purement chronologique, c'est qu'un évènement - et à fortiori militaire - peut s'étendre sur plusieurs mois ou années, participant à l'altération de la compréhension du lecteur lorsque se compilent plusieurs morceaux d'évènements qu'il doit parvenir à reconstituer. Il est aussi question d'un grave problème de synthèse dans cet ouvrage, d'autant plus choquant dans son dernier livre (probablement destiné à être révisé), cette incapacité à résumer les faits lasse le lecteur qui a l'impression de stagner dans ce flot de détails superflus qui ne correspondent pas à l'attente d'un livre d'histoire. Mais Thucydide est-il vraiment un historien ? Plus que l'histoire, il est un domaine qui marque absolument tout lecteur tant les pages en sont imprégnées, c'est la rhétorique. Cette rhétorique qu'il emploie dans les discours, parfois interminables, qu'il prétend retranscrire. On se doute de leur caractère inventé tant les dialogues partagent une unité, ce même style, terriblement percutant autant que convaincant, appris vraisemblablement chez l'orateur Antiphon. Pour aller plus loin que la rhétorique, il faut rappeler que Thucydide fut stratège et qu'en vertu de ce grade, les descriptions détaillées des batailles, des sièges et des stratégies employées durant le conflit ont pu guider son écriture vers une volonté plus politique qu'historique. D'ailleurs, il est un débat à propos de la partialité de l'auteur, notamment sur l'inéluctabilité de la guerre (Donald Kagan), montrant qu'elle aurait pu être évitée grâce à une diplomatie active. Il est évident qu'étant lui-même acteur de cette guerre, Thucydide ne disposait pas du recul nécessaire pour écrire aussi objectivement qu'il l'imaginait (ou le faisait illusionner). Pour terminer, on peut dire que ce livre est un gros morceau, 900 pages pour 21 ans de guerre (que Xénophon terminera), qui ne vaut clairement pas son investissement : l'absence de synthèse, de dates précises, de dénomination des évènements importants font qu'il ne mérite pas même d'être qualifié d'histoire. La meilleure partie de l'ouvrage se situe dans les livres VI et VII qui racontent l'expédition de Sicile en ce que la narration reste centrée sur cette opération.