J’imagine parfois les annotations que porterait le chef d’un atelier d’écriture à la lecture des deux premières phrases d’Histoire de ma sexualité : « Il y a quatre ans [1] m’est venue l’idée d’écrire un livre [2] sur l’histoire de ma sexualité, qui s’intitulerait Histoire de ma sexualité [3]. Pendant plusieurs mois [4], j’ai compilé des notes sur un carnet [5], sur la sexualité en général [6], sur les souvenirs de nature sexuelle que j’avais accumulés jusqu’au début de l’adolescence (la fin de l’enfance [7]). »
1 : cette précision chronologique est-elle indispensable ? importante ?
2 : il est rare qu’on écrive un livre sans en avoir eu précédemment l’idée : par erreur ? par hasard ? par maladresse ?
3 : un livre qui porte bien son titre, donc…
4 : cette précision chronologique est-elle indispensable ? importante ?
5 : cette précision est-elle indispensable ? Importante ?
6 : joli zeugme, ce « sur […], sur » !
7 : pourquoi ne pas ajouter « le début de l’âge adulte » ? Le lecteur risquerait de ne pas comprendre.
Je crois qu’on tient la réponse à la question que le narrateur posera plus tard, « Pourquoi, étant donné un même sujet, une matière également riche, certains auteurs échouent-ils à universaliser ? » (p. 48 en « Folio »). Parce qu’ils ne savent pas écrire. N’étant pas des écrivains, ils se servent du langage au lieu de le mettre en question.
Il existe bien sûr des livres encore plus narcissiques qu’Histoire de ma sexualité. Il en existe aussi de moins creux et de mieux écrits… La quête des souvenirs liés à la sexualité enfantine – et qui n’est pas inintéressante en soi – fournissant le motif du livre aboutit très vite à d’infinies variations autour du thème je suis hors du commun. Comme la figure du type hors du commun est elle-même un lieu commun, et qu’ici la vacuité des réflexions ne permet pas de la revigorer, Histoire de ma sexualité finit par accumuler les clichés.
Les gens qui comme Cyrano aiment se faire haïr alors qu’à la différence de Cyrano ils ne montrent rien qui les rende attachants par ailleurs m’agacent. Ce qui m’agace encore plus – et finalement, là réside peut-être la réussite d’Histoire de ma sexualité –, c’est que l’auteur-narrateur semble savoir qu’il fait de la merde. Et qu’il continue pourtant à en faire. Je ne pense pas que ce soit par malhonnêteté, quelque chose comme c’est à chier, mais c’est ce que demande le peuple, bien qu’un passage comme « Il me semble qu’en écrivant j’obéis à une loi m’autorisant à commettre toutes les erreurs du monde (d’écriture, d’ego, etc.) si je les dissèque, si je les dis » (p. 49) puisse le laisser croire.
Il y a peut-être une forme de mauvaise foi dans la démarche : « Je ne sais si mon livre est voyeuriste, exhibitionniste, nombriliste, ou n’importe lequel des mots qui accusent la vérité » (p. 38). Moi, je crois que le lecteur sait très bien comment est ce livre. Mais penser que ces mots « accusent la vérité », c’est d’une part se faire une idée bien réductrice de la vérité (ou peut-être la confondre avec la réalité), d’autre part se tromper sur les sens du verbe accuser, à la fois porter une accusation et mettre en évidence.
Non, je crois simplement que l’auteur-narrateur se débat avec des idées trop grandes pour lui et surtout des mots qu’il ne maîtrise pas. « La haine bourgeoise de l’écriture “nombriliste”, de ces écrivains qui ne savent parler que de leurs couches-culottes et de la mort de maman, est une haine de soi. (Car ce que signifie bourgeois, si l’on échafaude une définition dépourvue de critères socio-économiques, c’est d’abord une propension à se taire, à surtout ne pas se regarder.) » (p. 311) : dire cela expliquerait très bien pourquoi le bourgeois n’écrit pas sur son nombril, mais pas pourquoi il haïrait le nombril des autres – ce qui reste à prouver. En d’autres termes, enlevez « se » devant « taire » et « regarder », ce serait déjà plus cohérent, à défaut d’être pleinement recevable.
À part ça, l’auteur-narrateur parle aussi de sa sexualité d’adulte. Et les évocations de sodomies sont ratées.