« Mr Allworthy se disposait à se mettre au lit quand, écartant les draps, il découvrit à sa grande surprise un jeune enfant emmailloté de langes grossiers et dormant d’un doux et profond sommeil. Il resta un moment perdu d’étonnement à cette vue ; mais son bon naturel prenant toujours le dessus dans son cœur, il commença bientôt d’être touché de compassion pour le petit malheureux qu’il avait devant lui. »
Ainsi commence l’histoire de Tom Jones, enfant abandonné aux soins d’un riche et honnête hobereau du Somersetshire. Etant veuf et sans progéniture, le bon Allworthy recueille le bébé et l’élève comme son fils, aux côtés de son neveu Blifil. En grandissant, Tom gagne en beauté et en intelligence, mais multiplie les frasques dignes d’un jeune homme plein de vie ! Il tombe amoureux de Sophie, la fille d’un squire voisin, promise à son cousin Blifil. Tout ceci lui vaut la haine des parents de Mr Allworthy qui montent une véritable cabale pour se débarrasser de l’héritier potentiel. Rejeté de son foyer adoptif, Tom prend la route pour connaître l’aventure – y compris galante ! En compagnie d’un barbier savant, il ira d’auberge en auberge, sauvera des dames en détresse, participera à des opérations militaires et à des bagarres… Car si Tom est loin d’être un saint, c’est un jeune homme plein de courage et d’idéal. Malgré les péripéties que lui impose le destin, jamais il n’oublie sa bien-aimée. Mais il lui faudra prouver sa constance et affronter le père de Sophie, que la colère rend fou furieux.
Pour moi « Tom Jones », publié en 1749, est le plus extraordinaire des romans picaresques. D’abord parce que Fielding y déploie un art narratif savoureux, fait d’humour et de commentaires bavards, ce qui instaure une complicité immédiate avec le lecteur. L’intrigue elle-même est d’une grande ingéniosité et la galerie de personnages haute en couleurs. Quant à Tom Jones, c’est un individu complexe et terriblement humain, loin des clichés héroïques. On y trouve enfin une foule d'informations sur la vie en Angleterre au XVIIIème siècle grâce au souci du détail. L’auteur s’intéresse à tous les aspects du quotidien, y compris les plus modestes, et n’hésite pas à provoquer des scènes triviales pour faire rire le lecteur : ainsi un crêpage de chignons entre servantes devient sous la plume facétieuse de Fielding une bataille épique. Lire « Tom Jones » c’est pénétrer dans un univers truculent, partir pour un voyage cocasse dont on revient - après plus de 1000 pages - avec des voix et des images plein la tête. Et que de profondeur dans les propos de ces auteurs anciens que l'on ne prend plus hélas le temps de lire, que de sagesse sous les dehors de la plus parfaite bonhomie! Le digne successeur de Tom Jones est Barry Lyndon, personnage imaginé par William Thackeray cent ans plus tard en hommage à l'un de ses modèles littéraires.