Je me demande combien de gens qui ont mis 1/10 à ce livre l'ont vraiment lu. Ce qui est amusant de la part de ceux qui descendent ce livre pour sa prétendue "idéologie", c'est qu'ils n'ont probablement même pas lu sa quatrième de couverture avant de la noter, et qu'ils font donc ce qu'ils font par "idéologie".
Pourtant il n'est pas très difficile de comprendre la démarche du livre. Il suffit de lire son avant-propos pour cela.
Dès la deuxième page de l'introduction, et cela prouve bien que certains ne sont pas allés jusque là, Patrick Boucheron explique qu'il s'agit d'une Histoire de France "engagée face aux crispations réactionnaires.", qu'il y a une volonté de remettre la France à sa place de nation parmi les nations, sans lui accoler un destin ou une valeur exceptionnelle. Laissons cette idée aux discours politiques, et ne l'imposons pas à la recherche scientifique. Le livre ne parle pas de nulle part, et sa rigueur scientifique sert aussi un but politique. Sa rédaction a un sens, et ses auteurs ont l'honnêteté intellectuelle de l'admettre.
Une honnêteté d'autant plus salutaire à une époque ou ceux qui prétendent avoir une vision objective de l'Histoire sont bien souvent ceux qui, par ignorance ou par malhonnêteté intellectuelle, dissimulent leurs biais et leur orientation politique. Prétendre détenir la "vérité", ou être victime d'un "complot du système" qui dissimulerait cette vérité est devenu une pratique courante pour faire passer des thèses réactionnaires sans s'embarrasser d'arguments viables et en se contentant de répéter des slogans vides de sens.
La démarche de Boucheron et de son équipe est importante. Tous les historiens qui ont rédigé la grosse centaine d'articles qui composent ce livre l'ont fait de façon claire, agréable à lire (presque toujours) tout en ayant des sources fiables et un langage précis. Cette exigence de rigueur et d'accessibilité est encore une fois, évoquée dès l'introduction. Chaque article renvoie à une sélection d'ouvrages plus approfondis sur chaque sujet, ce qui permettra aux plus courageux de ne pas rester sur leur faim, car chaque article qui compose cette ambitieuse Histoire Mondiale de la France ne dépasse pas quatre pages.
Il est logique que ce livre fasse mal aux chantres de la France éternelle.
Il est très clair dans l'ouvrage qu'à la préhistoire la France n'est qu'un "Bout du monde" et qu'il est absurde de parler de France. Au départ, les limites géographiques ne sont liées qu'au thème du livre, ce qui circoncis le champ des études à l'actuel territoire français. L'identité française ne s'est pas faite en un jour, et "certainement pas au temps de Jeanne d'Arc". Les martyrs chrétiens de Lyon étaient pour certains des étrangers venus d'Asie. Saint-Martin était originaire de Hongrie. Jusqu'à la première guerre mondiale, le français n'était même pas parlé par une bonne partie la population. Et ce ne sont là que quelques exemples.
Il est normal de se sentir blessé, choqué, quand quelqu'un remet en cause le grand "Roman national" français avec tout ce qu'il comporte de grands hommes et de grands moments. Mais l'Histoire sert toujours le présent. Le roman national n'est pas une démarche scientifique, c'est une démarche politique qui vise, comme dirait l'autre à donner "une certaine idée de la France". Nous déformons notre histoire au fil des siècles, et un même événement peut avoir des significations différentes selon le contexte et les nécessités politiques du moment.
Ce que ce livre fait est important à l'heure du repli sur soi et des essais médiocres de polémistes et autres pseudo-historiens à la mode. Comme le dit si bien Patrick Boucheron dans son introduction plus souvent citée que lue "D'où vient l'idée, étrange quand on y songe, que l'ouverture sur le monde aboutirait à une diminution de sa grandeur ?".
Ce livre a une visée politique, oui. Mais il a aussi une démarche d'historiens, scientifique, rigoureuse, sourcée. Si vous voulez vous opposer à cette vision, il faudra vous y opposer sur le terrain des sources, des interprétations historiques. Et pas à base de phrases creuses ou de rumeurs non fondées sur le contenu du livre ,qui semblent aujourd'hui bien faibles, bien ridicules face à la solidité et à l'impressionnant contenu de l'ouvrage.
Cette critique n'est pas objective. Elle est portée par l'affection que je porte à ces historiens et à leur démarche. Ma note n'est pas objective. J'aurais pu mettre moins car le livre n'est pas exempt de défauts. Mais je mets 9. A la fois pour contrer la horde de critiques du dimanche qui ont pris d'assaut tous les sites présentant ce livre pour le détruire, mais aussi pour montrer que lorsque l'on reconnaît que sa démarche n'est pas objective, les choses sont plus claires pour tout le monde.