Si vous êtes prof d'Histoire, sans doute avez-vous déjà été confronté à ce type de conversation. Vous annoncez votre métier, et la personne en face de vous, enthousiaste, vous explique à quel point elle aime l'Histoire. Et en creusant un peu, vous vous rendez vite compte que ça veut dire que la personne regarde régulièrement Secrets d'Histoire, ou a lu Métronome, en tout cas que pour elle, l'Histoire est une série d'anecdotes amusantes et/ou forcément dotées de SENS. Que pour la personne en face de vous, "aimer l'Histoire", c'est rechercher un rapport d'intimité, souvent teinté d'illusions naïves, avec de grandes figures du passé.
Balayée l'école des Annales et son intérêt pour les structures sociales, le temps long, place au roman national. Avec en option évidemment toutes les récupérations identitaires de personnes pas toujours inintéressantes, mais qui enferment l'Histoire dans un cadre étriqué, celui d'un récit, et non d'un discours, encore moins d'une interrogation.
(Je passe sur le fait que l'Histoire, telle que les inspecteurs voudraient qu'on l'enseigne, n'a souvent rien à voir avec la science historique universitaire, tant aujourd'hui on assimile le fait de donner aux élèves une connaissance qu'ils n'ont pas à une violence symbolique, dans une surinterprétation extrémiste et ridicule des théories de Bourdieu).
Bref, je suis en train de le lire, ce livre, et j'en ferai un compte-rendu détaillé, mais je peux d'ores et déjà dire que je me réjouis qu'il soit un succès de librairie. Le point de vue, expliqué avec quelques circonvolutions dans l'introduction, apparaît cependant clairement : dresser de la France une histoire sur le temps long, sans chercher à y trouver des modèles, de l'exemplarité, ou un essentialisme français qui trouverait sa place dans le destin de l'Humanité, mais en insistant au contraire sur le contact des cultures, et surtout en montrant des zones d'ombre, sans chercher à les combler par des vues de l'esprit ou des images d'Epinal. Une réflexion sur la fabrique de l'Histoire, qui délivre cependant un contenu positif, sans tomber dans les travers inverses de la recherche universitaire : le jargon ou la déconstruction à outrance. Il y a un aspect enquête, sans non plus tomber dans une dramatisation à l'Américaine à base de faux suspense. C'est plutôt la joie de celui qui se confronte aux sources et y cherche des réponses en essayant diverses hypothèses que ce livre tente de retranscrire.