Sokcho en hiver. Une improbable station balnéaire sud-coréenne, tout près de la frontière ultra-militarisée avec la Corée du Nord. Désertée à cette période de l’année, la pension décrépie où travaille la narratrice accueille un dessinateur de BD français en quête d’inspiration. Entre eux le courant passe en mode alternatif. Elle occupe ses journées entre le ménage, la cuisine et les visites à sa vieille mère. Lui, taciturne, solitaire, lui demande parfois de l’accompagner dans ses sorties et l’ignore le reste du temps. Ils se croisent, s’effleurent, s’éloignent et mettent leurs émotions en sourdine.
Le froid, la neige, l’ennui. Ce premier roman traversé par la mélancolie et dépouillé à l’extrême exhale une atmosphère étrange à la fois pleine de pudeur et de tension érotique contenue. Attente, silences, hésitations, dialogues épurés de tout bavardage excessif et envahissement du désir, cette rencontre de deux solitudes qui s’attirent et se repoussent possède de forts accents durassiens. Franchement, je suis bluffé par la maturité de l’écriture d’Elisa Shua Dusapin. A 24 ans, son utilisation magistrale de l’ellipse, son mépris de la parole vaine, du développement inutile, impressionne. Avec une force d’évocation et de suggestion sidérante, elle va droit au but, à l’essentiel.
De l’indifférence à la naissance du sentiment amoureux, chacun intériorise, conscient que les silences sont plus signifiants que toute parole. La lenteur du récit et les images semblant défiler au ralenti expriment un bouleversement immobile où la passion affleure sans jamais déborder, sans jamais sortir du cadre. Un charme assez inexplicable se dégage de ce texte où les non-dit règnent en maître. Un des premiers romans les plus singuliers de cette rentrée.