Prix Robert-Walser 2016, Hiver à Sokcho est un roman délicat où l’amour de la narratrice pour un Français l’extirpe d’un hiver glaçant.
Premier roman remarqué dès sa sortie, le livre d’Elisa Shua Dusapin se concentre sur Sokcho, une petite ville portuaire proche de la Corée du Nord. Très fréquentée pendant la période estivale, la station balnéaire se vide en hiver où les températures descendent bien en-dessous de zéro degrés. Une jeune Franco-coréenne en conflit latent avec sa mère qui ne souhaite pas lui révéler ses origines travaille dans une pension où elle fait la rencontre d’un auteur français de bande dessinée. Face à l’angoisse de la page blanche, l’auteur se balade dans des paysages engourdis par la neige, accompagné par la narratrice.
Il ne se passe pas grand chose dans Hiver à Sokcho tant la force du récit tient à la suggestion, à ses respirations que l’on écoute, à ses poissons que l’on cuisine en prenant bien soin de retirer la partie venimeuse, à ses conversations où le désir ne pointe qu’à demi-mot. Original par son approche qu’il propose de la rencontre entre deux cultures, le livre d’Elisa Shua Dusapin est une découverte intéressante, un portrait de deux personnages qui cherchent tous deux à quitter leur culture.
« Ce soir-là encore, je l’ai épié par sa porte entrouverte. Il semblait plus vieux, courbé à son bureau. Il avait griffonné un buste de femme cambrée, seins nus, pieds à demi cachés par la courbe d’une fesse. Elle se roulait sur un futon. Il a tracé un parquet, les détails du futon, comme pour l’éviter elle, mais son corps sans visage réclamait la vie. Le décor au rayon terminé, il a pris la plume pour lui donner des yeux. La femme s’est assise. Droite. Les cheveux tirés en arrière. Le menton attendait sa bouche. La respiration de Kerrand s’est accélérée à rythme de son coup de plume, jusqu’à ce que sur la feuille, des dents très blanches explosent de rire. Une voix trop basse pour une femme. Kerrand a fait couler toute l’encre du pot, la femme a titubé, cherché à crier encore, mais le noir s’est glissé entre ses lèvres jusqu’à ce qu’elle disparaisse. »