Tout comme la personnage principale de son premier roman, Elisa Shua Dusapin connaît la double nationalité de par ses origines. C'est donc avec justesse qu'elle décrit ses états d'âme en s'inspirant de sa propre expérience. Le dessinateur que la narratrice rencontre,Kerrand, représente la part d'elle-même qu'elle veut découvrir. C'est aussi un homme qui la fascine car il est nettement plus affûté et sensible que son petit ami coréen voulant l'emmener à Séoul. Dans l'entourage de la jeune femme, il y a aussi sa mère, poissonnière revèche et terrienne, qui a bien du mal à la comprendre car c'est une intellectuelle. Pourtant, elle considère la femme vieillissante comme un repère plutôt stable dans son quotidien morne et certains de leurs moments ensemble lui font du bien quand d'autres la révulsent.
Dans cet univers, le lecteur comprend les émotions de la jeune femme en pleine remise en question. Celle qui ne veut pas quitter Sokcho, ville moribonde, celle qui ne croit plus à sa relation avec son petit ami ou celle qui conçoit que les racines sont encore une richesse. A seulement 24 ans, Elisa Shua Dusapin a écrit un premier roman avec une littérature mûre et aboutie, ce qui est déjà remarquable. Avec un grand sens narratif, une économie de dialogues voulue, l'auteur se fait cotoyer la France et la Corée avec subtilité. Le rapprochement entre Kerrand et la jeune femme de Sokcho est à la fois brut de décoffrage mais permet de bons échanges qui les aident à se trouver moins seuls.
Je ne peux que recommander Hiver à Sokcho comme un exemple de littérature qui fait ressentir sans effets ni esbrouffe. Dans la littérature moderne, cette sobriété fait du bien et nous rappelle que les mots n'ont pas besoin d'un carburant emphatique pour faire fonctionner une histoire.