A yeux clos plus rien ne vaut
Adepte de l'existentialisme dont les préceptes échappent au commun des mortels (dont moi), notre petit Jean Paul s'est vite hissée au cours des 50 dernières décennies comme l'une des figures de proue de la pensée philosophique française. Au point même que sa pensée est souvent citée et débattue par nos chers nouveaux intellectuels qui oppose son oeuvre à celle de Camus. Et ceci au point de confiner les débats dans les limbes du ridicule à débattre de l'honnêteté de l'un face à l'hypocrisie de l'autre. Michel si tu lis cette chronique tu es tout spécialement visé...
Il faut donc que l'oeuvre soit contextualisée dans son époque pour échapper à ces vaines reprises artisanes. Celle-ci publiée en 1947, au lendemain du plus grand conflit que la Terre ait jamais portée. Les champs ne sont plus que ruines, les vivres se font rares et les camps de vacance ne sont que lieux d'abomination, glacés par l'omniprésence du spectre de la mort. Bref on est loin de l'ambiance idylle de 1936 et son spectacle touchant de familles joyeuses et unies par une intense joie de vivre... Nous sommes dans une époque de remise en question (contrairement à la notre) : Comment l'homme a-t-il pu en arriver à une telle guerre fratricide ? Pourquoi l'a t-il fait ? Et surtout est-il véritablement être doué de raison ou n'est-il qu'une bête à qui on a attribué après une erreur malencontreuse de manipulation des capacités trop grandes ? Quelques questions qui vont tarauder les nouveaux intellectuels et leur amener tout comme les nations à reconstruire l'humain et à le redéfinir avec justesse et lucidité.
Ce qui est bien entendu le cas de notre Jean Paul. Passé sa seule manie de manier pompeusement la grammaire française et de provoquer divers "maux" de crâne à raconter ses soporifiques états d'âme, il se révèle assez intriguant. Dans un décor très humble, il dépeint dans huit clos une vision très banalisée de l'enfer. En effet il ne faut pas s'entendre à des flammes brûlantes ou encore à un spectacle immonde de suppliciés condamnés pour l'éternité, dans des postures bakeriennes, où s'unissent harmonieusement chair et extase. Que nenni. Ici l'enfer est plus sournois et ne révèle à nos sens qu'au fil de l'avancée des répliques des protagonistes. L'enfer c'est ce que nous révèle autrui sur notre rapport avec les autres et notamment ce que l'on a pu commettre de tords à ceux-ci dans notre passé. Le poids des sentiments et notre obligation d'assumer nos actes (infanticide, tromperie, dédain de l'être aimé, lâcheté...) suffisent à seuls à imposer aux individus un purgatoire sans fin dont ils ne peuvent s'échapper. D'autant plus qu'ils ne peuvent se cacher sous des masques pour dissimuler leurs tourments, contrairement à ce qui prévaut dans la vie sociale...
Ainsi le mérite de Sartre est de parvenir à s'émanciper d'une vision traditionaliste du théâtre et de parvenir avec un pitch assez minimaliste à résumer un mode de pensée novateur et cohérent avec l'évolution de notre perception des rapports humains dont nous on voit émerger les différentes modalités de contrainte. Pour autant cette pensée "rationnelle" n'est pas sans défaut ; Jean Paul demeure un homme de son époque et cela ressent dans son descriptif des protagonistes ; seul Garcin provoque véritablement l'empathie du lecteur/spectateur. Les deux autres protagonistes féminins, stéréotypées au maximum (d'un côté la jeune manipulatrice et arrogante, de l'autre la vieille carne pleine d'appétits et froide) ne provoquent au mieux que la pitié. ce qui est un tantinet gênant pour une une pièce centralisée sur trois personnages...Et il est aussi regrettable que le garçon d'hôtel ne soit pas davantage exploité et ne serve finalement que de ressort narratif. Ou plutôt de bouche trou, puisque l'on parle d'humain...